Episode 8 : Le tableau noir

Le tableau est un objet mythique des salles de classe. Abusivement affublé de l'adjectif de couleur "noir" qui lui donne un petit air d'instrument de torture, la plupart de ceux que j'ai connu tirait plutôt sur le vert.

A l'école primaire, le tableau était posé au sol, sur un support dédié. Légèrement avancé vers la classe, donc décollé du mur, il jouissait d'une capacité assez fascinante : on pouvait utiliser l'autre face.
Le mécanisme était simple, mais efficace, un levier situé en bas au milieu du tableau, sous le porte craie, faisait monter le tableau sur un axe central, ce qui permettait de le faire tourner et faire apparaître une nouvelle face totalement vierge.
Enfin, totalement vierge seulement si l'élève préposé au nettoyage dudit tableau avait convenablement fait son office. Cette tâche était souvent laissée au cancre de la classe, qui décidément n'avait aucune conscience du travail bien fait.
Il faut dire que le nettoyage du tableau n'était pas aussi simple qu'il y paraissait, il y avait plusieurs outils, avec chacun leurs avantages et leurs inconvénients :

1. Le bète chiffon, négligemment posé sur le porte craie avait l'avantage de se trouver n'importe où. Une vieille taie d'oreiller amenée par la maîtresse, un mouchoir (Non, ce n'est pas pour ça que le tableau était vert), un chiffon plein de cambouis amené par l'employé municipal qui venait de réparer le tracteur communal, celui qui servait au ramassage des ordures... Un chiffon, ça court les rues. Mais ça n'efface rien. Par contre ça fait de la poussière, ça oui.

2. La brosse, conçue pour ça, était d'une efficacité redoutable tant qu'elle n'était pas saturée de poussière de craie. On s'en rendait vite compte, quand le simple fait de poser doucement la brosse sur le tableau produisait un nuage blanc à l'odeur caractéristique. Pour nettoyer la brosse, il fallait... une seconde brosse pour pouvoir taper la première joyeusement en tournant la tête en arrière pour ne pas mourir d'asphyxie et de contrariétés diverses. Cette tâche était également régulièrement confiée à quelque potache qui n'y voyait pas plus que ça une punition puisqu'il fallait sortir de la classe pour taper les brosses à l'extérieur, ce qui, pendant le temps scolaire, était toujours bon à prendre. L'élève revenait quelques minutes plus tard avec un pull tout blanc et la satisfaction du devoir accompli. L'école, c'était aussi parfois des petites joies simples.

3. De temps en temps, il fallait tout de même employer les grands moyens pour nettoyer ce fichu tableau. On passait alors à l'éponge. Une bonne grosse éponge jaune qui ne tenait pas dans nos mains d'enfants et qui baignait dans un liquide immonde et froid, en dessous du tableau. L'odeur de cette soupe était également très particulière, je la sens encore. Il fallait essorer l'éponge, ni trop, ni trop peu, et la passer sur le tableau avec le plaisir non dissimulé de "faire une trace". Et là, c'était impeccable, le tableau noir retrouvait son vert d'origine, immaculé, net. Arrivé à la fin du tableau, le début de la "trace" avait séché. Il était de nouveau horriblement sale. Il n'y a pas de moyen de nettoyer un tableau.

Le tableau, c'était aussi l'endroit de l'interrogation orale et individuelle, un peu stressante... Ou plutôt carrément flippante. "Au tableau !". De la poèsie aux leçons de géo, les trente paires d'yeux rivés sur vous, la moitié maitrisant la leçon bien mieux que vous, et se foutant de votre gueule à chaque erreur ou hésitation, l'autre moitié, soulagée de ne pas être à votre place, ne pensant qu'à décompresser en faisant les zouaves...

Accessoirement, le tableau pouvait également servir de "coin", quand les quatre autres de la salle étaient déjà occupés par d'autres élèves turbulents. L'avantage c'est qu'on était caché par l'objet. L'inconvénient, c'est qu'on l'était seulement jusqu'à la taille. Difficile de se gratter les fesses tranquillement dans ces conditions.

Compte tenu de toutes ces qualités, il a sans doute été naturel de décliner le tableau en format individuel, ce qui a donné les ardoises, qui elles, étaient vraiment noires, bien qu'on ne les qualifie jamais de la sorte, faut pas chercher à comprendre.
L'ardoise s'accompagnait bien sûr d'un certain nombre d'accessoires :

1. Les craies, qui dès le 2 septembre, chaque année, étaient réduites en miette au fond du sac, ce qui nous obligeait à écrire de la pointe des doigts, alors qu'on ne maitrise pas encore bien la technique.

2. L'éponge, plus ou moins mouillée, dans son inévitable boîte en plastique translucide et ronde. L'éponge elle-même avait une couleur indéfinissable dès sa deuxième utilisation. Quand elle était trop mouillée, l'éponge laissait tant d'eau sur l'ardoise qu'il était ensuite impossible de faire fonctionner une craie dessus. Je ne vous parle même pas d'une miette de craie. Autant graver directement sur l'ardoise avec les ongles... Ah, ça me fait penser à un bruit caractéristique, ça aussi ! Brrr

3. Et puis il y avait cette drôle d'invention, une sorte de critérium pour ardoise, avec une mine grise. Je n'arrive même plus à me rappeler précisément de ce truc. Je me rappelle juste que c'était parfaitement inutile.

Puis vint l'époque des ardoises "Véléda". Une révolution. Elles étaient blanches. Comme bon nombre d'accessoires scolaires dont j'ai déjà évoqué le souvenir dans ces colonnes, les ardoises véléda étaient disponibles dans différentes couleurs bien flashy, je parle bien sûr de l'encadrement, qui devenait plastique et de couleur pour mieux encore enterrer la bonne vieille traditionnelle ardoise avec son encadrement en bois nul. La mienne était jaune. Au début. Très vite les débordements de support rendait l'encadrement bariolé. Et on se rendait vite compte que le feutre effaçable, ne l'était que sur l'ardoise pour laquelle il était prévu. Sur les doigts, les tables, le papier et donc l'encadrement de l'ardoise Veleda, ça restait bêtement.

Au collège, le tableau devint fixé au mur, avec éventuellement des morceaux rabattables. C'était un peu moins fun. Du coup, c'est là que je me suis mis à collectionner les craies, que je volais sur le porte-craie en-dessous du tableau en sortant de chaque cours. Ca m'occupait pour les jours où j'avais perdu ma collection de billes de cartouches. Une craie neuve, c'était un objet d'art. De couleur en plus, c'était le top. Surtout en miettes, au fond du sac.

On se souviendra aussi des outils de géométrie géants pour utilisation au tableau. Le compas qui faisait crisser sa pointe métallique au centre d'un improbable cercle, l'équerre jaune si lourde que l'angle n'était jamais vraiment droit...

A l'université, le tableau devint double, et coulissant (les profs d'université ne sont pas des moitiés d'imbéciles, ils maîtrisent des techniques que le professeur des écoles ne pourraient même pas comprendre). De deux choses, l'une :
- Le prof était très organisé, méthodique et propre, auquel cas ses deux tableaux étaient méticuleusement essuyés, placés comme il faut, inversés quand il le fallait, bref, niquel.
- Le prof était un bordelique, et dans ce cas, le tableau était dans le même état.
J'ai connu les deux types, et à chaque fois, c'était fascinant à observer.

Récemment, au boulot, on a eu l'occasion de tester un truc qui envoie sur un PC les tracés que l'on fait sur un tableau blanc, avec des feutres spéciaux. On a tous convenu que c'était un instrument magnifique... dont on ne se servirait sans doute jamais. Difficile de prévoir, quand on commence une réunion, un schéma, un délire, que son oeuvre va avoir un quelconque intérêt. Le tableau reste un outil de l'éphémère, et c'est beau.

Commentaires

1. Le lundi, 23 janvier 2006, 09:35 par Bob

Mes souvenirs de tableaux les plus marquants sont peut-etre ceux de prepa. Ma prof de maths avait un don pour les calculs interminables : elle attaquait au coin en haut a gauche, deroulait sa demonstration jusqu'au coin en bas a droite, repartait aussi sec effacer sa premiere moitie de tableau (et je ne sais pas si vous avez remarque, mais en general on recopie moins vite que la prof n'ecrit ;) ) et poursuivait sur les chapeaux de roue.

Au bout de deux ou trois iterations de tableau, elle s'arretait, jetait un coup d'oeil a la demonstration qu'elle avait notee sur son aide-memoire, regardait a le tableau, un nouveau coup d'oeil a l'aide-memoire et disait enfin "Ah. Je crois que j'ai faux." C'est alors que le major de la classe faisait remarquer que c'etait peut-etre du a la petite erreur de signe a la troisieme ligne du tout premier tableau. D'ou, consequence logique "eh ben vous n'aurez qu'a me refaire la demonstration pour demain, j'en interrogerai un".

Pour revenir plus nettement sur le sujet du tableau et de la craie, la prof etait de la vieille ecole et faisait le cours en blouse blanche. Comme elle utilisait intensivement la craie, elle s'essuyait frequemment les mains - sur sa blouse, evidemment. Ce qui fait qu'en guise de vengeance gentille, quand elle envoyait l'un de nous chercher des craies au bureau des pions, il n'etait pas rare de voir revenir un eleve qui ramenait des craies rouges, vertes, jaunes ou bleues, arborant un petit sourire desole : "y avait plus de blanches" :)

Dans les variantes d'utilisation idiote du tableau, il y avait aussi les profs qui lancaient des petits bouts de craie ou l'eponge aux eleves distraits. Et les souvenirs de colles, bien sur, mais la il y a sans doute matiere a un billet separe...

2. Le lundi, 23 janvier 2006, 10:09 par Steh

J'avais un prof qui etait fatigue de lever son bras pour ecrire au tableau. Il ecrivait son texte sur une feuille transparente qui etait projetee sur le mur (c'est pas un video projecteur, je ne me rappelle plus du nom).

Et il etait maitre en lancer de craie (de toute facon, il n'avait plus besoin de craie puisqu'il ecrivait direct avec des feutres speciaux).

3. Le lundi, 23 janvier 2006, 22:13 par bouchon

*fan de votre série: Nostalgie scolaire*
Un vrai plaisir à lire! Merci.

La feuille transparente projetée sur le mur l'est par un rétroprojecteur.
Cette technique, un de mes profs l'utilisait aussi, mais là, je ne vous raconte pas la quantité de plastique jetté à la poubelle: au moins 6-7 feuilles par cours!

Il y existe aussi la visionneuse qui permet de projetter au mur l'image que l'on a sur un document quelconque (livre, imrpession, revue, documentation papier...) sans avoir à le transformer. Mais, attention, c'est de la haute technologie, je ne l'ai vu qu'une fois en école d'ingénieur.

4. Le lundi, 23 janvier 2006, 22:29 par bouchon

A l'école primaire, grand moment d'attention pour toute la classe: découvrir ce que la maîtresse avait écrit au dos du tableau tournant pendant que nous faisions autre chose... L'énoncé d'un exercice de math? Une nouvelle règle de grammaire? Une poésie? Tiens, qu'est-ce qu'elle rajoute en rouge?

Grande déception donc, lorsqu'il sagissait du contrôle de géographie et grande joie si c'était la présentation de la prochaine activité manuelle.

5. Le mardi, 24 janvier 2006, 08:21 par Merome
Bouchon : le projecteur qui marche avec les vrai feuilles de papier, j'en ai vu un au collège. Une seule fois aussi, pourtant, c'était pratique. C'était un vieux tromblon, me semble-t-il, donc pas de la haute technologie. Sans doute une lampe ultra puissante en dessous, mais à part ça, le principe était le même...
6. Le mercredi, 25 janvier 2006, 01:36 par Bonal

Effectivement, il fallait se servir de crayons spéciaux pour les ardoises individuelles. Je crois me souvenir que ces crayons avaient plus ou moins l'apparence d'un crayon de papier, à la différence qu'ils étaient peints en bleu, et que leur mine était blanche – probablement un dérivé de craie ; mais contrairement à la craie, ces crayons n'étaient pas franchement pratiques quand il fallait lever son ardoise pour montrer à l'instituteur le résultat d'un calcul : leur tracé était trop fin, donc peu visible à une certaine distance (je suis sûr que les écoliers des années 50-60 utilisaient de véritables craies, semblables à celles du tableau noir). Les "ardoises" Velleda étaient donc majoritaires dans ma classe.

7. Le mercredi, 23 août 2006, 17:36 par Nath

Connais-tu le site soseducation.com ? Je serais curieuse de connaître l'avis d'un triple papa sur le thème délicat de l'école d'aujourd'hui.

8. Le jeudi, 24 août 2006, 08:24 par Merome
Triple Papa, mais seulement deux enfants scolarisés dont une en maternelle. Par ailleurs, ma secrétaire est dans le métier, ce qui biaise mon jugement. Mon avis est donc le suivant, pour l'instant : l'Ecole est prise entre deux feux. D'un côté, l'archaïsme de l'institution, son mode de gestion, l'absence de hierarchie, de responsabilité parfois, de suivi dans les programmes, le corporatisme... De l'autre, la modernité pour la "branchitude", internet dans toutes les écoles (mais pourquoi faire ?), les cours sur l'eau potable proposés par Nestlé, un enseignement adapté au monde de l'Entreprise plutôt que de culture générale...
Au milieu de ça, il y a l'instit, ou "Professeur des écoles". Selon son âge, son talent, son contact avec les enfants et les parents, tout peut changer. C'est lui qui fait tout et il n'y a aucun moyen de contrôle, aucune protestation possible. D'où les pétitions dans tous les sens, seuls moyens d'actions des parents d'élèves.
Du coup, ce qu'on voit à la télé des problèmes d'éducation, qui tourne toujours autour des moyens mis en oeuvre, trop, pas assez selon les camps, est bien loin de la réalité du terrain. C'est l'organisation générale qu'il faut revoir. La gestion de la ressource humaine dans l'EN. Et redéfinir clairement le rôle de l'Ecole. Parce que les parents aussi sont fautifs. Moi, sans doute, le premier. On attend de l'Ecole quelque chose qu'elle n'est pas censé apporter. On est exigeant, intransigeant. Or, le problème n'est pas simple. Il est humain.
9. Le mercredi, 6 septembre 2006, 16:33 par Ansofie

j'habite la campagne et ma fille entre en CP. Sa maitresse (ça porte ce nom là ici ;-)) lui a demandé d'amener pour jeudi une housse d'ardoise, pour ranger l'objet parmi les autres objets et éviter le bruit de l'ardoise en contact avec la table. Une housse à ardoise, ça ne courre pas les rues ni les grandes surfaces. Autant dire que ça n'existe pas... ça veut dire quoi ? que chaque famille doit passer son mercredi à confectionner une housse artisanale ? Comme je n'ai pas trouvé d'autre solution, je l'ai fait : j'ai sorti la machine à coudre, un bout de tissu et hop.
Quand même... ça me semble bizarre de donner de tels devoirs de couture aux parents non ?

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