La société de l'information en guise de VIème République

Je viens seulement de comprendre le sens de ce vieux néologisme et ça m'ouvre des perspectives intéressantes.

L'inspiration qui aboutit à la création d'un article de blog peut prendre plusieurs formes. Soit il s'agit à la base d'une simple information que j'ai lue ou entendue et qui m'inspire un commentaire. C'était le cas hier, avec la publication du nouveau taux de pauvreté français.
D'autres fois, c'est un ensemble de faits vécus ou lus sans liens directs qui s'enchevêtrent pour former une sorte de pensée nébuleuse qui se construit tout au long de la journée, des phrases entières m'arrivent par flash, et j'ai toutes les peines du monde à m'en rappeler. L'article d'aujourd'hui est de ceux-là. Ce sont mes préférés, même si au final le résultat est souvent décevant, ce sont alors les commentaires qui relèvent le niveau, car malgré tout, il y a toujours un tordu pour comprendre ce que j'ai voulu dire.

Depuis ce matin, donc, je ne peux que constater la complexité du monde qui m'entoure. Ça a commencé par une altercation verbale entre deux de mes collègues généralement calmes. Rien de grave, ni même de particulièrement intéressant, mais il y eût quelques instants intenses qui ne laissent pas indifférents. Puis, sans aucun lien, je me suis informé sur mes sites favoris et j'ai échangé quelques points de vue avec des amis sur le tout nouveau budget de la France. A la lumière de l'interview du jour de Jean Michel Apathie, tout me paraissait soudain relativement clair. Je suis arrivé chez Le Monolecte, qui a toujours une réflexion intéressante à nous soumettre. Aujourd'hui, c'était sur l'ANPE, les chômeurs et les catégories qui se créent presque naturellement au sein de cette population. Bizarrement, les commentaires ont tourné rapidement sur le conflit de la SNCM. Et tout aussi rapidement, un clivage franc est apparu entre les pro et les anti-syndicalistes.
Je me suis fendu d'un commentaire un peu hors-sujet sur ce blog, qui préfigurait l'idée que je vais développer maintenant.

Nous sommes aujourd'hui sur-informés. C'est un fait. Les sources pullullent : journaux, télé, radio, web, forum, mails, SMS,... Il ne se passe pas une heure sans qu'une information de premier ordre cherche une place dans notre cerveau encombré. Comme nous sommes un peu masochistes sur les bords, ou parce que c'est dans la nature humaine, on encourage le processus en étant avide d'information. Pendant les pubs au milieu du film, il m'arrive de lire les infos du téletexte. Grave.
Aussi, quand un ministre quelconque, ou l'un de ses opposants, ou bien encore un acteur de l'actualité brûlante nous annonce à la radio une information qui est tout sauf crédible, on a pas mal de moyen de la vérifier et rapidement. Sur la SNCM, typiquement, on a tout dit et son contraire. Si vous êtes plutôt de gauche, attaché au service public, défenseur du droit de grêve, vous trouverez sur le Net un gros tas d'articles qui expliquent avec force détails et arguments les tenants et les aboutissants du conflit. Si vous êtes plutôt de droite, du genre à privatiser tout ce qui est privatisable, anti-cgtiste primaire ou secondaire, vous n'aurez que l'embarras du choix, des abus du personnel syndiqué à la gestion désastreuse des deniers publics...
L'information est là, mais finalement ne vous fait aucunement changer d'avis. Question de principe. On ne devient pas libéral en lisant la prose de Sarkozy, comme on ne devient pas socialiste en écoutant Hollande. Chacun chez soi. Mais quand même, ce sarkozy, des fois, il va trop loin sur la sécurité, et ce Hollande, qu'est-ce qu'il est mou sur la question des dépenses publiques... Il y a des petits clivages qui se créent. Des petits clivages qui deviennent de grandes divergences de vue. Et il arrive l'inévitable : on ne peut plus voter pour personne.
Le monde politique étant comme un virus face aux antibiotiques, il s'adapte en créant une multitude de courants, tous répondant aux aspirations d'un groupuscule plus ou moins représentatif de la société.
On arrive à un nombre de candidats impressionnant, 16 à la dernière présidentielle. Pas un qui ait une idée originale et novatrice, et c'est logique, c'est parfaitement impossible dans le système actuel. Les suffrages se diffusent dans ce brouhaha, je suis de gauche mais contre l'adoption par les homosexuels ; je suis de droite, mais j'aime pas LePen ; je suis centriste, mais Bayrou est incompétent... On aboutit à un second tour grotesque, qui a le mérite de faire un peu réfléchir tout le monde, comme le Non au référendum, mais qui ne change absolument rien. Sitôt élu, le gouvernement est sitôt désapprouvé, et pour cause : une grande majorité des électeurs à voté contre l'infâme boulet qui est au pouvoir (je ne dis pas ça pour Chirac en particulier, mais pour l'Elu en général - à part peut-être Neo, qui est à part). L'abstention grimpe. Le désintérêt se transforme en désaveu. La droite est obligée de boucler un budget en demi-teinte, ni de droite, ni de gauche, un budget d'attente, pour espérer se faire réélire la prochaine fois. C'est fini le temps où il suffit de mettre en avant ses idées et de les appliquer ensuite. Ça ne marche plus. L'électeur est devenu soudain moins bète, car plus informé.
La place que prennent les médias avec ces nouvelles règles du jeu n'est qu'une preuve supplémentaire de cet état de fait. Tout se joue là : l'information. Et c'est de là que vient le néologisme dont je parle dans le sous-titre.

Ceci étant posé, comment gouverner, sachant que les français seront forcément contre ?
Cherchons la réponse du côté de l'origine du problème, justement : la société de l'information. En quoi cette nouvelle donne pourrait apporter un plus à la démocratie au lieu de la détruire comme cela en prend le chemin aujourd'hui ?
J'ai nommé : la démocratie directe fortement participative. Rien que ça. Les informations circulent vite ? Dans tous les sens ? Servons-nous de ça pour remonter les infos de "la France d'en bas" vers les élus, les élites. Les clivages sont légions, ils rendent le pays ingouvernable ? Multiplions les consultations populaires grâce à l'internet !
Les référendums, comme ils sont organisés jusqu'à présent, sont parfaitement improductifs et inefficaces. En plus de ça, ils coûtent chers. Faisons des minis-référendums sur internet, portant sur des sujets précis et avec un impact direct sur les choix nationaux. Plus besoin des députés pour voter les textes !
Reste plus qu'à régler le problème de la fracture numérique. C'est un problème surmontable. La sécurité des données ? On paie bien nos impôts sur internet...

Le pouvoir enfin au peuple, sans intermédiaire et sans trotskysme sous-entendu. La démocratie au sens propre. La technique rend la chose envisageable. Soyons clairs : ce n'est pas pour demain, et ça ne va pas changer les choses du tout au tout : les groupes d'influences continueront d'exister sur les différents médias. Ils continueront de faire pencher la balance vers des idées démodées. Mais on pourra beaucoup moins se défausser sur le fait qu'on n'a pas voté pour celui qui est au pouvoir. On responsabilise.
Dois-je rappeler que tout ceci n'est qu'une anticipation destinée à s'ouvrir l'esprit ? Je vois déjà d'ici les commentaires "Tu rêves" ou "Ça marchera jamais, ton truc". Donc, réfléchissons à tout ça. Voyons les informations du jour sous ce nouvel angle. N'y a-t-il pas un fond de vérité et une once de crédibilité là-dedans ?

Commentaires

1. Le mercredi, 19 octobre 2005, 00:08 par Stef

Les antibiotiques n'ont jamais été efficace sur les Virus , juste sur les bactéries qui , elles , oui , s'adaptent ;)

J'ai surtout l'impression que le problème principal de l'information actuellement c'est qu'il faut creuser pour l'avoir... A chacun d'exercer sa curiosité et son sens critique afin d'essayer de tirer une synthése (forcément subjective...) d'un sujet précis. Nous sommes surtout abreuvés d'infos "Magazine" dans les médias grand publics (TV / Radio) , on nous bombarde d'images chocs et de sujets croustillants sans vraiment expliquer le fond, et sans critiquer surtout. A coté , les médias "orientés" , une majorité de la presse écrite dans laquelle jungle nous devons essayer de tirer quelques infos moins édulcorées (fiables ??). Bonne chance !
(je suis hors sujet par rapport a ton topic encore , non ? )

2. Le mercredi, 19 octobre 2005, 11:41 par Ysengrin

Bonjour,
Il me semble clair que tout évolue très très vite et de plus en plus (sciences et technologie, société et économie, conditions d'environnement...) sauf le système politique et la caste qui y règne. Il me semble également évident que notre système est loin d'être parfait, et que nous devrions continuer à le faire évoluer.
Après, il faut croire au futur de la technologie comme support de la société d'information. Et à la pertinence de celle-ci. Car je crois que la sur-information, notamment, peut aussi être inhibitrice : quand mon esprit est entièrement occupé par des nouvelles de l'autre bout du globe sur lesquelles je n'ai aucune prise, je n'y gagne que du stress, aucune autonomie d'action.

3. Le mercredi, 19 octobre 2005, 15:38 par Le Monolecte

J'aime bien ta manière de décrire le processus créactif d'un post de blog : c'est tout à fait ça. Soit un coup de sang à l'écoute d'une info particulière qui se détache soudain du brouhaha médiatique dans lequel nous sommes imergés, soit une sorte de maturation confuse d'une sensation floue qui s'étaye par l'accumulation d'évènements sans lien apparents entre eux jusqu'à la construction de fulgurances fugaces. C'est sûr que le 2ème processus est plus subtil, mais nettement plus fécond. Et justement, il nécessite l'imprégnation informative permanente.

Sur la démocratie directe... hummmm, j'aime bien le sillon que tu commences à creuser là, mais je pense que l'angle d'attaque n'est pas forcément le bon. La mutation politique n'est pas une question technologique. L'Amérique du Sud est en plein champ d'expérimentation intense de nouvelles formes de socialités et de gouvernances politiques et nous gagnerions à les observer d'un peu plus près (risal : risal.collectifs.net/). Il s'agit là d'une mutation profonde des mentalités, du changement radical des pratiques si cher à Patrick Mignard (tapez dans Google, l'info monte toute seule!)((Merde, le slogan qui tue grave!))...

Je sens que ça va me faire marner quelques temps, ton texte.

PS : un petit référendum directe, ça se rapproche du sondage et je ne pense pas un bien fou de la République des sondages!

4. Le jeudi, 20 octobre 2005, 08:25 par Merome
Je suis informaticien et donc un peu monomaniaque. Je vois en quoi la société peut changer grâce aux outils que j'utilise, c'est un peu logique. Tiens, je vais citer mon idole :

J'sais pas encore d'où viendra la lumière
Les solutions magiques plus douces et plus belles
J'suis pas certain qu'elle sortira des computers
Mais je suis sûr qu'elle viendra jamais des poubelles.

La chanson intégrale est ici : http://www.parler-de-sa-vie.net/chansons/1982_06.html

Et donc pour te répondre sans détour : la mutation politique n'est pas une question technologique, mais la technologie peut aider à la mutation politique, selon moi.
5. Le jeudi, 20 octobre 2005, 09:06 par Bob

Je suis de l'avis du Monolecte : la technologie n'est qu'un moyen. Avec un peu de bonne volonte et une meilleure organisation, on pourrait tres bien organiser ce type de scrutin de maniere conventionnelle, a moindres frais que ca n'est fait a l'heure actuelle. Par exemple je crois comprendre qu'en Suisse, les electeurs sont tres regulierement appeles aux urnes pour se prononcer sur les projets de lois (par contre il me semble qu'ils ont plus d'abstention, mais pourtant la vie politique du pays me semble beaucoup plus riche qu'elle ne l'est en France - pour les gens qui se sentent concernes).

Je pense que ce type de prise de decision releve avant tout d'une volonte politique forte de la part du gouvernement, associee a une porse de conscience des citoyens. Une fois qu'on a ca (attention, je ne dis pas que c'est facile), on a l'essentiel. La mise en oeuvre n'est finalement qu'un detail technique, que ca soit par internet, par bulletin dans l'urne ou par pigeon voyageur. L'element fondamental est bien celui du mode de prise de decision.

Une fois acquis le fait que je suis favorable au fond, j'apporterais volontiers un ou deux bemols sur la forme - la mise en oeuvre justement. D'une part, le scrutin "papier" presente l'avantage que n'importe quel electeur peut assister lui-meme au deroulement du scrutin et au depouillement des resultats. Sans mettre en question la securite des transactions informatisees, je crois qu'il est important de conserver cette publicite du scrutin, sans quoi on s'expose aux theories de conspiration et autres fantasmes extremistes.

D'autre part, devoir se deplacer au bureau de vote, le petit rituel de l'isoloir etc, ca pose le vote comme un acte volontaire et reflechi. Ca decourage ceux qui s'en foutent, ou les petits plaisantins. Et, dans l'ideal, ca devrait aussi pousser les eligibles a motiver les electeurs pour se deplacer. Je redoute que la facilite de la technologie informatique ne fasse perdre cet aspect du vote, qu'on reintroduise dans le scrutin les gens qui ne veulent bien donner leur avis que si on leur amene le micro sous le nez, qu'on vote a chaud sans prendre le temps de reflechir, sur la base d'un sujet de 90 secondes au journal de 20 heures, et qu'on finisse par decider d'une loi potentiellement vitale avec la meme desinvolture que pour eliminer un candidat de jeu televise.

Je trouve normal et meme souhaitable que chacun de nous doive faire un effort pour participer au fonctionnement du pays, et parmi tous les outils technologiques disponibles, l'ordinateur est peut-etre justement celui du moindre effort - donc peut-etre le moins adapte.

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