Ou comment la conclusion d'un stage de formation n'est pas forcément celle que l'on pense.

Je viens de passer trois jours en région parisienne, plus précisément à la Défense, à subirsuivre une formation professionnelle. Outre une très légère déprime, j'en suis revenu avec un certain nombre d'interrogations sur mon métier et mon avenir - existentiel en général et professionnel en particulier.

Replaçons rapidement le contexte : je vais avoir trente ans dans moins d'un mois, je vis dans une ville moyenne de province, où j'ai la grande chance d'avoir trouvé un boulot stable, dans un domaine (l'informatique) où le travail est plutôt sur les grands pôles Paris-Strasbourg-Lyon-Nice-Bordeaux et les premiers emplois de courte durée. Je me suis endetté pour acheter un logement, j'y ai mes amis, mes activités, mes habitudes, bref en un mot comme en cent je suis installé et ma vie est là - pas forcément pour toujours, mais pour le moment, pas spécialement envie de bouger. Arrive là-dessus que, pour des raisons déjà vaguement évoquées et sur lesquelles je ne vais pas revenir pour le moment, il se peut que d'ici quelques années se posera pour moi le problème de devoir chercher un autre emploi.

C'est dans ce contexte qu'un collègue et moi-même sommes partis mardi dernier pour Paris, afin d'y suivre une formation choisie par notre patron et sans rapport évident avec notre activité ni même avec celles que nous avions demandé à suivre. Admettons, on verra bien, peut-être que ça sera intéressant.

Arrivée à la Défense, en voiture. On traverse un invraisemblable arrangement de gigantesques tours de verre et d'acier. C'est grand, trop grand, démesuré, inhumain. Une fois debout au milieu de l'esplanade le lendemain, il me semblera entrevoir brièvement ce que c'est que d'être agoraphobe.

On va rendre la voiture de location à Courbevoie, on marche une vingtaine de minutes jusqu'à l'hôtel. Les quartiers qu'on traverse sont presque exclusivement constitués de grands immeubles, à peine moins grands que les tours de bureaux, gris, ternes, tous pareils. Trop de gens dans trop peu d'espace. Peu de commerces en dehors d'un centre commercial planqué sous une grosse tour. Je plains les gens qui doivent habiter là. Sans doute qu'ils n'ont pas le choix : j'imagine mal comment on pourrait aimer vivre dans ce genre de lieu.

Je réalise soudain que si je dois changer d'emploi, une majorité des postes à pourvoir se trouveront là, dans l'une ou l'autre de ces tours démentielles. Et que du coup, pour diverses raisons de temps de trajet ou de moyens financiers, je n'aurais peut-être moi-même pas d'autre choix que d'habiter à proximité. La perspective d'un aller-retour quotidien entre une de ces tours en verre et un de ces cubes de béton me terrifie : je ne peux tout simplement pas concevoir mon existence dans un tel cadre. Le soir dans ma chambre d'hôtel impresonnelle et standardisée, je me sens comme Bill Murray dans Lost in translation, perdu dans un univers trop vaste et auquel je suis étranger.

Le lendemain matin, début de la formation. La présentation de l'intervenant comporte une demi-douzaine d'acronymes par page. Mon collègue et moi voyons vite nos craintes confirmées : ce qu'on est venus apprendre n'a strictement aucun rapport avec notre domaine d'activité et ne nous sera d'aucune utilité une fois rentrés au bureau. Mais même sorti de ça, on a tous les deux bien du mal à voir ce que cette nouvelle technologie a de vraiment génial. C'est beaucoup de choses pour, au final, faire la même chose qu'avant. Du neuf avec du vieux, camouflé sous des grands mots compliqués et des sigles à la pelle. Même les deux ou trois qui semblent voir le rapport avec leur boulot à eux n'ont pas l'air convaincus de la pertinence du truc.

Tout ça n'est vraiment pas l'informatique telle que je la conçois, mais les discussions autour du déjeuner sont formelles : le métier que j'exerce depuis même pas cinq ans est déjà en fin de vie, il finit de préparer ses bagages pour l'Inde ou la Chine. Les outils que je maîtrise sont efficaces et éprouvés mais passés de mode : ils n'intéressent plus personne, ou alors pas ici : nous les Occidentaux nous sommes sans doute trop intelligents pour rester à un tel niveau d'archaïsme. Non vraiment, ce qu'on est en train de nous montrer à la formation, c'est l'Avenir.

Et voilà la deuxième horrible réalisation : si je dois changer d'emploi, il va sans doute aussi falloir que je me mette moi aussi à voguer de mode en mode. Tous les deux ans, je devrai réapprendre un métier que, naïvement, je croyais savoir faire pour de bon. On va toujours planter des clous, mais il faut remplacer le marteau. Pas qu'il ne fonctionne plus, non, mais il n'est plus assez joli vous comprenez. Gardez votre vieux marteau si vous voulez, mais dans ce cas nous on n'a plus de clous à vous faire planter, monsieur. Cette absurde fuite en avant me dépasse et me consterne.

Pour résumer, voilà les deux grandes questions qui me turlupinent : d'une part, comment me recycler dans mon métier, si je ne me reconnais pas dans l'évolution de celui-ci ? A l'heure actuelle, je ne me vois vraiment pas suivre la valse incessante des pseudo-technologies, et je commence à envisager la possibilité de changer radicalement d'orientation le jour où le couperet tombera sur mon emploi actuel.

D'autre part, suis-je disposé à sacrifier mon cadre de vie "juste" pour avoir un "bon" travail bien payé ? Je n'en suis pas certain. Peut-être ai-je été rendu exigeant (ou, pire, capricieux) par la chance que j'ai eue jusqu'ici d'avoir un travail qui me plaît dans une ville qui me plaît ? Toujours est-il que si un jour je dois choisir entre un travail qui me plaît à la Défense ou du collage de timbres dans une ville humaine, il est fort possible que je préfèrerai coller des timbres, quitte à devoir renoncer à une partie du confort matériel dont mon salaire actuel me permet de bénéficier.

Quelque part, et aussi désagréable qu'elle ait été, cette formation n'aura pas été totalement en pure perte, puisque je pense qu'elle m'a amené à me poser des bonnes questions sur ce qui est important, et que ça m'évitera peut-être de faire des erreurs le jour où j'aurai besoin d'une réponse claire.

Commentaires

1. Le lundi, 10 octobre 2005, 12:07 par egdltp

Bienvenu dans le monde merveilleux de l'économie. Si j'ai tiré un enseignement de mes 15 années d'expérience et de la vision économique actuelle c'est : si vous pouvez vivre d'autres choses que de la vente de votre travail, faite le !!!
Nos dirigeants ne sont obnubilé que par une chose maximiser le profit financier de leur activité. Grand bien leur fasse mais ce n'est pas comme cela que les gens vivent. L'argent est et doit rester un moyen.
Bon courage pour votre vie à coller des timbres en espérant que vous pourrez toujours participer à l'aventure des TIC via la participation aux projets "Libres". J'espère que vous avez de quoi faire pousser des pommes de terre et élever des lapins afin de dépendre un minimum du collage de timbre. Mais tenez bon jusqu'a avoir payé votre terrain et la maison car sinon "ILS" vous pirqueront même cela alors que vous en avez payé une bonne part...
Amitiés

2. Le lundi, 10 octobre 2005, 14:16 par Merome

Je suis un peu allergique aux formations, en général. Je préfère me former sur le tas, ce qui a aussi des tas d'inconvénients mais que je crois au moins maîtriser.
Il m'arrive donc de ressentir le malaise que tu décris ici, et je finis par me demander si l'humanité serait ce qu'elle est (dans le sens positif) si tout le monde était aussi peu ambitieux que moi.
Parfois, les incohérences et les absurdités sont si énormes que j'en finis par me demander si ce n'est pas moi qui suit dans l'erreur...

3. Le lundi, 10 octobre 2005, 16:11 par marzi

Deux remarques :
- Je me reconnais aussi dans le mal à suivre les virages technologiques de l'informatique, qui excite plus les informaticiens que les clients. Ca dépend bien evidemment du domaine, mais dans le mien, les migrations techniques coutent cher, et ne servent... à rien. Et comme toi, j'envisage l'hypothèse de changer completement de voie.
- Pour le "dépaysement parisien"... la, c'est bien propre à chacun de nous. Je pense comme toi : jamais je ne vivrais la bas, et je venere le champ de mais qui est derriere chez moi, pour la tranquilité qu'il m'apporte. Mais ne crois pas comme tu l'écris que ceux qui habite dans les tours le font par élimination : ils sont à l'inverse de nous, et ne peuvent meme pas comprendre qu'on habite perdu dans la nature, loin de la pseudo-culture et animation parisienne. Chacun à sa place, je ne les envie pas, ils ne m'envient pas. Et, comme toi, si demain je dois coller des timbres pour 50% de mon salaire ou partir en "ville" pour le double, le choix sera vite fait.

4. Le mardi, 11 octobre 2005, 11:29 par Bob

Merome, ce n'est pas vraiment une question d'ambition (encore que). C'est surtout une impression de m'etre fourvoye dans une voie profesionnelle ou la philosophie et l'etat d'esprit dominants ne me correspondent pas. Jusqu'ici j'ai eu la chance de pouvoir travailler en dehors du "systeme", mais je sais bien que tout a une fin et qu'il me sera difficile ensuite de rester hors de ce systeme.

Au passage, il est interessant de noter que le renouvellement incessant des technologies n'est pas sans rappeler certaines logiques de superflu et de surconsommation, ou de croissance perpetuelle... ;) Quelque part je crois que c'est aussi un peu pour ca que j'ai envie de faire autre chose.

5. Le mardi, 11 octobre 2005, 15:35 par Xavier

Merome, tu est génial! Tu viens de decrire de façon claire le sentiment confu qui me ronge depuis plus d'un an et que je ne parvenais pas a formuler...

Finalement, tu serais pas mieux comme sociologue?

En en discutant avec un copain, il y a qq temps, on se disait qu'il serait pas mal d'aller élever des truites dans le fin fond des cévennes...

6. Le mardi, 11 octobre 2005, 16:50 par Bob

Apparemment, je ne suis donc pas tout seul a me sentir en decalage avec le monde de l'emploi tel qu'on me le propose (je signale au passage que plusieurs autres collegues de mon bureau me disent partager mon sentiment)...

Je me demande si il faut trouver cela rassurant parce qu'on se sent toujours moins seul, ou inquietant parce que, sans vouloir generaliser a partir d'une demi-douzaine de reveurs, ca suggere quand meme un peu qu'il y a quelque chose de pourri dans ce royaume...

7. Le mardi, 11 octobre 2005, 19:36 par Gargamail

Je vais connaitre ca bientot :/
En tout cas, ton texte est juste , fait mouche , meme s'il fait peur.
Et meme si tu utilise des noix de lavages :p , force est de reconnaitre que tu es quelqu'un d'honnete et clair.
Bravo et bon courage :)

8. Le mardi, 11 octobre 2005, 20:47 par nale

Xavier, bonne idée d'aller élever des truitre.

au passage, çà n'interesse personne de racheter une chocolaterie qui fonctionne bien.
Je vend relativement bon marché.

/nale en pleine déprime

9. Le mercredi, 12 octobre 2005, 08:12 par Merome
Euh... A mon grand dam, l'article n'est pas de moi, pensez à regarder le nom de l'auteur avant de me féliciter. En général, si c'est bien écrit, ce n'est pas de moi :)

Nale : Allons bon que se passe-t-il de si grave chez toi ?
Bob : Nous sommes plusieurs dans ton cas, et je me demande souvent ce qui se passerait si tout ces gens inaptes à la société actuelle se regroupaient pour fonder un parti politique, une entreprise, ou autre groupe de pression ou de réflexion... En fait, je sais ce que ça donnerait : ça donnerait un truc comme Mozilla ou Wikipédia, avec la mini-révolution qui va avec. Alors on attend quoi pour être véritablement constructifs ensemble ?
Idée : créer un nouveau jeu en ligne, ambitieux, engagé, irrésistible, réaliste,... qui explique la vie à des milliards d'internautes (j'ai dit ambitieux).
10. Le mercredi, 12 octobre 2005, 08:27 par marzi

... ou alors, en créant un parti politique, ca nous ferait supprimer la part d'iréel dans nos bels idées à tous. Et on ne serait finalement qu'un partie parmi les autres, guère mieux que les autres. Pourquoi ? Parce que la problematique est énorme, que nos hommes politiques actuels sont déjà plein de bonne volonté contrairement à ce que bp pensent, que les "gens" au sens large sont avant tout individualiste et que ca collera pas avec nos théories basées sur la bonne volonté de chacun...

11. Le mercredi, 12 octobre 2005, 08:55 par nale

Bah, mon petit problème est a peux de chose près encore un problème économique du a la domination des grand sur le marché.
çà pourrait presque rentrer dans le même style que les délocalisation ou autre ....

Barry Callebaut ( leader mondial en produit a base de cacao )qui est mon fournisseur de matière première nous oblige a travailler par contract de X tonnes pas an.
Si on a trop peu pour l'année, on peut refaire des contracts suplémentaires, si on a de trop, on se prend des supers pénalités.

Chaque année, le prix des matières première augmente sans possibilité de négocier.
Mais cette année, a cause de soit disant pénurie et autre, le prix de la pâte noisette ( appelée praliné) a doublé et se retrouve plus chère que ce que je ne vend mes pralines.
Premier coup de déprime.

En contre partie ( et la les financiers lisant ce forum pourront peut être m'aider a comprendre), Barry Callebaut annonce sur son site internet une tendance a la baisse de l'achat des fèves de cacao :S

ensuite, il annonce le 8 juillet 2005 une forte augmentation du volume et du bénéfice net.
le 11 avril aussi alors que le volume des ventes augmente de 6 %, le bénéfice augmente de 21 %
le 10 nov 2004 : résultat exercice 2003/2004 : forte augmentation du bénéfice d'exploitation et du bénéfice net.
2 ème coups de déprime.

que doit je faire, j'augmente mes produits qui alors deviennent du grand luxe et dans mes extimations les plus optimistes, je perd 20 à 30 % de mes clients.

Maintenant, le coup de massue final.
dans les magasin, on commence déjà a trouver des figurines en chocolat ( pour les Français ne savant pas, c'est le père noël 3 semaines avant l'heure de Noël version Belge)
le prix de vente des saint nicolas , emballé, dans le rayon du magasin est de +/- 3 € le kg, soit plus de la moitier du prix auquel j'achète mon chocolat brut a l'usine directement et par 500 kg.

je comprend plus ou ba le marché et je ne comprend vraiment plus rien , mais vraiment plus rien du tout :( _ :(

12. Le mercredi, 12 octobre 2005, 10:40 par Merome
Ben c'est ça le libéralisme : pour réduire tes coûts, il faut que tu oublies les spécificités qui font ton talent pour te joindre à une chaine nationale de chocolaterie qui achète le praliné par 100 tonnes. C'est ce qu'on appelle la liberté d'entreprendre :)
Ça rejoint ce que je disais dans l'autre article : les règles du jeu d'aujourd'hui nous conduisent dans le mur. Les plus grands sont condamnés à grandir encore. Pour eux non plus, on ne peut pas dire que c'est "facile", même s'ils brassent énormément de pognon. Ils ont d'autres contraintes que tu n'imagines même pas. Les plus petits comme toi sont asservis, ils n'ont aucune chance de grandir...
On rejoint le mur de fourmix, il faut changer les règles... Ça va pas être facile maintenant. Mais la grosse erreur aujourd'hui serait de simplifier la vie aux gros. Ça rapprocherait le moment de l'impact et le rendrait sans doute inévitable...
13. Le mercredi, 12 octobre 2005, 16:27 par pitt

Bienvenu dans le monde réel Néo!

14. Le vendredi, 14 octobre 2005, 15:19 par egdltp

Nale, as tu essayer de remonter dans la chaine de production pour ne plus passer par l'intermédiaire. Son bon sur son résultat il vient de toi et de la pression qu'il met sur ses fournisseur.
Il y a t il une filière "equitable" pour le cacao ? Sinon vois comment la créer. Alors tu sera plus libre de travailler tes produit et de servir tes clients.
Bon courage..

15. Le vendredi, 14 octobre 2005, 16:23 par Bob

Merome : pour ce qui est de se regrouper, c'est sur qu'au depart l'idee est tentante. Reste quand meme, dans ce genre d'entreprise, le risque (a mon avis reel) de se retrouver sur le carreau a un moment ou a un autre, et peu de gens ont envie de risquer ca...

J'ai deja commis dans mon cursus professionnel deux changement de direction mineurs mais qui, replaces dans leurs contextes respectifs, etaient relativement hasardeux. D'un cote, ca m'a laisse avec l'idee que la plupart du temps il est possible de se "rattraper" sans trop de problemes apres un changement important. D'un autre cote, on pourrait aussi se dire qu'on ne peux pas avoir de la chance indefiniment ;)

16. Le dimanche, 18 octobre 2020, 19:37 par Bob

Exactement quinze ans plus tard, je recherche un autre de mes vieux articles sur ce blog et je tombe sur celui-ci...

Il se trouve que la raison de ma recherche première est un bilan de compétences dans lequel je viens de m'engager, précisément parce que ma boîte (qui, au final, est toujours la même qu'alors) vient effectivement d'annoncer le départ progressif - mais a priori à relativement court terme - d'un nombre croissant de postes techniques vers le pays du curry ainsi qu'une série de coupes claires dans les effectifs, la deuxième en six mois.

Aucune certitude pour le moment mais autant ne pas être pris au dépourvu, et quand bien même : à presque 45 ans, si je dois finalement changer de boutique, ça sera sans doute plus facile de prendre les devants aujourd'hui que de le faire contraint et forcé d'ici quelques années (dans le meilleur des cas).

Bon pour le coup depuis je suis quand même bien passé (relativement récemment, en fait) sur les technologies de l'Avenir. Heureusement aujourd'hui il semble y avoir des bases plus stables que celles d'il y a quinze ans mais ça bouge quand même encore beaucoup et très vite.

Heureusement, mes vieilles technos du monde d'avant semblent quand même avoir toujours leur utilité elles aussi. Heureusement, à toute chose malheur étant bon, la crise sanitaire aura au moins permis de montrer aussi que le télétravail n'est pas juste un gros mot de gamin capricieux, donc il ne sera peut-être pas nécessaire d'aller me fourvoyer en région parisienne.

Mais quand même ça fait bizarre de retomber sur ce post d'il y a quinze ans et de lui trouver un tel écho aujourd'hui.

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