Le champion de la métaphore débile que je suis a encore frappé : et si on disait que Fourmix, c'est la société française.

Bon, publicité au passage et pour ceux qui ne comprendront rien sinon : Fourmix est un jeu en ligne de ma création qui met en scène des dynasties de fourmis prêtes à tout pour conquérir les territoires voisins.

Le tableau étant posé, voici l'idée que je vais développer maintenant : imaginons que les dynasties soient non pas adversaires, mais concurrentes. Que les cases à conquérir soient des parts de marchés. Que les règles du jeu soit des lois. Bref, que Fourmix est une "société". Et étudions cette société.

A Fourmix, tout le monde commence avec une fourmilière, très peu de population et des conditions égales. Au début, en fait, on ne peut pas faire grand chose. On attend que sa population augmente pour pouvoir lancer ses premières constructions, on commence à nouer des partenariats avec les voisins pour éviter de perdre trop vite.
Une première sélection s'opère au bout de 100 heures de jeu. Sur 27 dynasties, 20 seulement passe en "division supérieure". Les cinq dernières sont purement et simplement retirées du jeu, et les deux restantes "redoublent" cette étape de sélection.
Ensuite, assez rapidement, 3 ou 4 dynasties vont prendre le dessus sur les autres dynasties de la forêt. Plus on a de fourmilières, plus les naissances de fourmis sont importantes et plus on a de chance de faire pencher la balance de son côté. Autrement dit, plus on est puissant, plus on a de chances de le rester, mathématiquement.

On voit bien vite le travers de ce type de jeu : les vieilles dynasties les plus grosses sont de puissance non comparable avec les nouveaux arrivants. Pour pallier à ce problème, il faut du temps pour passer d'une forêt à une autre. Ainsi, l'écart de développement des dynasties est réduit.

Malheureusement, on s'est aperçu très vite que cette pénalité de temps n'était pas suffisante. Et Fourmix 2 a vu se créer une coalition énorme de dynasties qui ne faisait qu'attaquer les nouvelles forêts, dès leur apparition. Le jeu perdait tout intérêt et j'ai décidé de pratiquer une rupture, comme dirait Sarkozy, en mettant un mur, et en créant Fourmix 3.
Pour ne pas reproduire le problème de FX2, j'ai ajouté quelques règles dans la nouvelle version, des règles, évidemment, qui rendaient difficile le jeu des grosses dynasties, de façon à ce que les richesses du jeu soient partagées par le plus grand nombre.
Cela n'a pas suffit, FX3 lui aussi est allé dans le mur, ainsi que FX4, et nous sommes aujourd'hui à FX5 qui présente toujours ce même défaut, et même pire, d'une certaine façon : d'un côté d'énormes dynasties de centaines de cases, rendues ingérables par des règles toujours plus compliquées et rétorsives envers les puissants, et de l'autre, des nouveaux venus qui jouent quelques semaines sans jamais pouvoir inquiéter les "gros du Nord".
Vous noterez pourtant que les chances de gagner au départ sont les mêmes. Tout le monde est parti avec une seule fourmilière. Et tout le monde, s'il s'applique et qu'il a un peu de bol, peut devenir une grosse dynastie. Mais "tout le monde", ça n'est pas suffisant. Il faut que cela puisse être "n'importe qui".

Mais où est donc la métaphore, me direz-vous ? Ben là, sous vos yeux, voyons ! La société française, et plus généralement toutes les démocraties modernes se confrontent aux mêmes problèmes. Bien sûr, au début, tout se passe bien : le meilleur gagne, il croît grâce à son talent, il gère au mieux son capital. Puis il arrive à une taille critique où il ne peut plus progresser, mais où il ne peut plus non plus être délogé par quiconque. Il n'y a plus d'innovation, il n'y a plus d'intérêt pour personne. On va dans le mur.
Fourmix est basé sur un principe capitaliste, voire libéraliste : chacun est libre d'entreprendre comme bon lui semble la conquête des territoires/parts de marchés. Puisqu'on a vu que ça ne marchait pas, on a ajouté petit à petit des mesures "socialistes" de redistribution. On a introduit plus d'aléatoire pour que l'impossible soit probable. Mais inlassablement, de temps en temps, il faut repartir de zéro, s'écraser dans le mur.
Pourquoi ?
Créer un système de jeu équilibré est extrêmement difficile. Je suis déjà très content d'être arrivé à ce niveau d'équilibre au premier jet. Et une fois la partie entamée, difficile de changer les règles. Les plus grosses dynasties défendent leur position de force, les petits se syndiquent pour faire entendre leurs doléances.

L'inégalité, le mauvais équilibre, rend le jeu impossible pour les riches comme pour les pauvres. C'est exactement ce qu'on constate en France. Etranglées par les règles de redistribution, les riches entreprises ne peuvent qu'au mieux stagner ou faire de l'anti jeu (licencier) pour garder leur position dominante. Les pauvres, pourtant arrosés d'aides en tout genre, ne pourront jamais prétendre rivaliser avec eux.
Ce qu'il faut aujourd'hui à Fourmix, et parallèlement à notre société, c'est un nouveau système de jeu, plus égalitaire dès le départ, sans frustrer l'initiative individuelle. La redistribution a vécu. Elle porte en elle-même les stigmates d'un dysfonctionnement général. C'est une distribution qu'il faut pratiquer. Que chacun soit rémunéré selon sa compétence et son talent, pas exagérément plus, ni drastiquement moins.

Il ne me reste plus qu'à demander à DSK de jouer à Fourmix pour qu'il comprenne tout ça...

Commentaires

1. Le jeudi, 6 octobre 2005, 23:36 par Nale

très belle analyse, c'est totalement çà

et je peux ajouté que j'ai été une grosse dynastie de plus de 150 cases mais que j'arrive pas a avoir plus de 2 cases derrière le nouveau mur.
En comparaison, les gros dans la société ( française et Belge, les prb sont les même) peuvent se retrouver au plus bas un jour comme a leurs début et ne plus trouvé le truc qui fait que ...
mais je ne crois pas qu'ils le réalisent tout le temps

2. Le vendredi, 7 octobre 2005, 00:13 par Stef

On a eu chaud, en Russie la société doit plutot être organisée comme Wargang :-))

3. Le vendredi, 7 octobre 2005, 01:43 par Enzo

suis tjrs autants content de pas savoir a jouer a Fourmix ...

Sinon pourquoi ne pas mettre un systeme de divisions entre les peuples ?? un peu com dans hattrick, ou un nouveau va se battre contre des gars de son niveau, mais faire ca sur 4 ou 5 niveau au lieu d'un simple mur.

pff vais finir par devoir apprendre a jouer a fourmix pour vous faire evoluer :-)

Enzo fournisseur d'idées a la minute mais rarement utilisées (enfin presque jamais )

4. Le vendredi, 7 octobre 2005, 08:17 par hyrr

merome : "Il ne me reste plus qu'à demander à DSK de jouer à Fourmix pour qu'il comprenne tout ça..."

et on verra apparaitre se message sur le forum....
"j'comprends pas j'A pu de dynastie ca me dit que j'ai fait du multi avec octave... mais c'est pas du multi... octave c'est le poisson rouge de mon chef de cabinet et des fois mon chef de cabinet Y gere mes nids parceque j'ai pas de connection sur les podiums de meeting... SVP rendez moi mes nids...
DSK..."

5. Le vendredi, 7 octobre 2005, 09:27 par Le Monolecte

Le Capitalisme, poussé dans sa logique, substitue de fait des monopoles privés à des monopoles publics (exemple : microsoft).
Tout est basé sur le principe de la taille critique : dès qu'une entreprise/ fourmillière atteint la taille critique, elle devient incontournable sur son marché, ce qui la fait croître de plus en plus, sans qu'il ne soit plus nécessaire de faire quoi que ce soit.

Arrive Linux : des archipelles totalement éclatées de toutes petites fourmillières basée sur une organisation totalement différente, pour ne pas dire opposée : la coopération entre elles. Cette organisation grossit tranquillement sans inquiéter le géant, dans un premier temps, mais aujourd'hui, le monde du libre commence à sérieusement attaquer des part de marché à Microsoft. IE, qui était quasiment en état de monopole sur le net, il y a 5 ans, ne représente plus que 50% des visites dans mes sites actuellement.
De manière intéressante, de nouvelles lois sont régulièrement mises en jeu qui ont pour but de casser le principe de l'open source sous des prétextes divers et variés...

Tout ça pour dire qu'il suffit qu'une ou des fourmillières puisse adopter un mode de développement ou de fonctionnement totalement différent (mode coopératif plutôt que concurentiel), mais efficace, pour que tes fourmillières mastodontes se fassent bouffer petit à petit. Autrement dit, le changement ne se décrète pas, il se construit petit à petit dans les pratiques, à l'intérieur même du système...

6. Le vendredi, 7 octobre 2005, 09:34 par sam

bonne annalyse, à quand un fourmix communiste ? ^^

7. Le vendredi, 7 octobre 2005, 10:42 par marzi

Le monolecte : ca m'interroge, tes propos. On dirait que ca défend le libéralisme, en disant que finalement, tout le monde a sa chance, et que le géant, quel qu'il soit, peut très bien être renversé. Bref, finalement, que le système est bon.
C'est bien loin de tes propos habituels, ca, non ?

8. Le vendredi, 7 octobre 2005, 13:41 par Merome
De la même manière qu'on peut nous répeter à longueur de journée que les problèmes du libéralisme peuvent être résolus par plus de libéralisme, Marzi vient d'inventer la théorie suivante :
Si un jour quelqu'un parvient à renverser le libéralisme, c'est précisément parce que le libéralisme a permis de le faire.

Le libéralisme, c'est bon, mangez-en.
9. Le vendredi, 7 octobre 2005, 16:36 par Stef

Donc en poussant dans l'absurde, devrait-on souhaiter une économie dirigiste afin d'éviter l'auto-destruction du libéralisme ? :-)

10. Le vendredi, 7 octobre 2005, 20:12 par Le Monolecte

Stef -> Pas si absurde que ça, puisque j'ai lu des économistes qui pensent que Keynes a sauvé le capitalisme en en aténuant les effets...

11. Le samedi, 8 octobre 2005, 18:18 par Bob

Marzi, notre amie Monolecte ne dit pas le systeme (en l'occurence le liberalisme, mais en fait on pourrait dire la meme chose de la plupart des systemes) est intrinsequement bon ; simplement qu'a terme, le systeme va finir par engendrer son propre changement.

L'Histoire ne manque pas d'exemple de systemes - de gestion economique ou bien de gouvernement - qui ont fini par s'effondrer sous le poids de leurs propres erreurs, de leurs defauts intrinseques ou des consequences d'une mauvaise application. Meme les dictatures, qui ont pourtant tendance a verrouiller le plus possible toutes les possibilites de changement, finissent par d'effondrer tot ou tard.

Suivant les cas, le changement peut se produire brutalement ou petit a petit, presque imperceptiblement, et mettre plus ou moins longtemps a se produire. Et meme comme ca, ca ne se fait evidemment pas du jour au lendemain - on sait tous que la Revolution de 1789 a pris plus de temps que juste le 14 juillet.

Mais bon je crois que c'est bien ca l'idee de base : tout systeme porte en lui les germes de sa propre evolution. La ou il faut tenter de rester vigilant, c'est que si le systeme a trop fait de degat autour de lui pendant son temps d'activite, ca peut etre tres difficile de repartir apres l'effondrement...

12. Le lundi, 10 octobre 2005, 13:59 par marzi

La question est : doit-on tout casser le système existant, ou juste travailler petit à petit à son amélioration ?

Je suis pour la seconde solution, mais certains crient haut et fort pour la première...

13. Le lundi, 10 octobre 2005, 17:54 par Bob

Je crois que tout casser, ca ne marchera pas. Le systeme a trop d'ampleur et d'inertie pour ca maintenant, et ca necessiterait trop de gens dans la rue avec les fourches et les tetes des dirigeants au bout de piques (en plus c'est salissant et trop dix-huitieme siecle).

Si on cherche bien, on peut trouver dans beaucoup de domaines des exemples des petites gouttes d'eau qui font les petits ruisseaux (et qui deviendront peut-etre plus tard des grandes rivieres).

14. Le lundi, 10 octobre 2005, 20:23 par Merome
Je ne sais pas si Marzi me catégorise dans ceux qui veulent tout casser. Moi je ne m'y classe pas en tout cas, je suis déjà plutôt opposé à la grève, alors la révolution, vous pensez bien !
Des initiatives comparables à celles de Mozilla pour les logiciels libres, ou Wikipédia, par exemple, me semble dessiner les prémices de l'alternative à notre système actuel. Une sorte de démocratie participative à l'échelle de l'humanité et supportée et rendue possible par Internet.
Mais bon, ça doit être parce que je suis informaticien que j'ai ce "rêve".
15. Le mardi, 11 octobre 2005, 08:08 par marzi

Je te classais pourtant bien dans cette catégorie. LE changement que tu préconises est tellement radicale... qu'il en devient iréalisable dans le monde "ouvert" (comme les sources des logiciels libres :)) dans lequel nous cohabitons tous.

16. Le mardi, 11 octobre 2005, 08:11 par Merome
Qui aurait pu dire que le passage de IE à Firefox était réalisable ? Je t'ai déjà expliqué mille fois pourquoi tout est réalisable dans ce que je dis, et pourquoi la véritable utopie c'est de rester dans le modèle actuel, donc je ne vais pas le refaire une nouvelle fois ici...
17. Le mardi, 11 octobre 2005, 08:54 par marzi

Le parallèle IE/Firefix est vraiment sans commune mesure...

18. Le vendredi, 18 novembre 2005, 20:52 par SATOR

J'aime beaucoup cet article Merome, et ça rejoins ce que je disais sur le forum, il y a longtemps, quand je disais que quelquepart, Fourmix m'a apprit a vivre dans la vraie société.

C'est clair, ce systeme libéraliste-capitaliste s'apparente directement a notre société (et pas qu'en France!). Il est d'autant plus intéréssant de jouer à fourmix qu'on a un certain pouvoir sur les règles, on peut, ensemble, chercher la solution à ces inégalités et ce dysfonctionnement qui mène droit dans mur. Chercher à améliorer fourmix, c'est la méme démarche que chercher a améliorer notre société, c'est pour ça que c'est si captivant.

Par ailleur, et pour avoir joué de nombreuse parties, dont une fois avoir "gagné", on peut dire, vu que j'avais des centaines de fourmilières (oui les dynasties de fourmix2 qui ont tué tous les nouveaux, c'était en partie moi :P) ... et malgrès toutes les idées "rebelles" et "réformateurs" que j'avais lors de ma croissance dans le jeu, lorsque je me suis établit comme "Gros du Nord", je suis passé dans une situation d'immobilisme qui m'a moi même surpris... On retrouve la même évolution chez les hommes politiques.

19. Le dimanche, 20 novembre 2005, 13:51 par marzi

Sator : et fourmix qui permet aux plus riches (allopass) de planifier plusieurs opérations à l'avance, ou de pouvoir réserver leur place dans la foret inférieur sans avoir à se lever à 3h du mat le jour J, ca ne te fait pas réflechir ?

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