L'attaque de la chaussette chinoise

Le 1er janvier 2005, les frontières de l'Europe se sont ouvertes à la Chine, avec la fin des quotas européens d'importation sur le textile.
Le textile, comme chacun le sait, c'est avant tout un problème de main d'oeuvre. Et la main d'oeuvre, en Chine, ça court les rues, à défaut de courir DANS les rues comme elle devrait le faire à cet âge. Avec nos 35 heures et nos congés payés, notre âge de travail légal, on a l'air fin et on peut toujours s'aligner.
Comme cet évènement n'a pas échappé aux médias (quand même depuis le 1er janvier, je sais pas pourquoi on en parle maintenant !), il ne se passe pas une émission de radio ou de télé sans qu'on nous parle des chaussettes chinoises. Me demander pas pourquoi les chaussettes et pas le reste du textile. Les médias parlent TOUS des chaussettes. C'est comme ça. Peut-être craignaient-ils que le français de base ne comprenne pas le mot "t-shirt".
Ce matin, par exemple, sur RTL, nous avons pu entendre le patron des chaussettes "Labonale" nous expliquer que sur son créneau des chaussettes de luxe, il n'avait pas trop de soucis. C'est vrai que ses chaussettes parfumées au citron ou à la vanille, ses chaussettes qui massent le pied, c'est pas demain la veille que les chinois sauront les faire. L'industrie du luxe, c'est un des fers de lance de la France. Une fierté. On vend même du parfum pour les dessous de bras des américains. Vu leur tendance à l'embonpoint voilà un marché qui risque pas de se tarir.

A 13h00, sur France Inter, c'était le patron de Kindy qui exprimait lui aussi sa sérénité relative. Cela fait deux ans qu'il se prépare à cette ouverture des frontières et des quotas. Kindy a d'ailleurs implanté une usine en Chine pour ne pas rater le train. Cet homme ne comprenait donc pas que ses concitoyens, politiques ou industriels du textile découvrent aujourd'hui le problème, au lieu de s'y être préparés comme lui. Au sujet des hommes politiques, il était carrément amer, les accusant d'avoir orchestré cette difficulté sciemment, s'en être félicité, même. Ce sont ces mêmes politiques qui ont prévenu le patron de Kindy pour qu'ils se préparent à cet évènement. Aujourd'hui, personne ne semble prêt sauf lui.

Cet entrepreneur qui avait tout du détestable capitaliste, cynique, sûr de lui et hyper réaliste que je déteste, m'a pourtant laissé une impression plutôt bonne, ce qui m'inquiète un peu pour ma santé mentale.
Sa réflexion et celle du patron de "Labonale" rejoignent quelque part la mienne en ce qui concerne le problème des délocalisations. C'est à dire que c'est un combat perdu d'avance. La Chine gardera son avantage de main d'oeuvre tant que les françaises ne voudront pas avoir plus de 5 ou 6 enfants chacune. De la même manière, le Koweït ou l'Irak auront toujours plus de pétrole que nous sur leur territoire et se lancer dans le forage pétrolier en Auvergne risque de ne pas être rentable avant quelques dizaines d'année. Il nous faut nous battre sur notre terrain, avec nos meilleures armes. La France jouit d'une réputation certaine dans le domaine du luxe et des produits à haute valeur ajoutée. Notre économie se tertiarise inéluctablement depuis des décennies sans que notre rayonnement dans le monde soit véritablement menacé.
Je me sens obligé de faire une parenthèse à ce sujet : les français sont parfois peu conscients de l'importance de la culture et de l'économie française dans le monde. Chirac s'en étonnait d'ailleurs lors de son émission sur l'Europe avec les djeunz. Compte-tenu de la superficie de notre territoire, du nombre d'habitants, nous ne sommes vraiment pas ridicules, dans bien des domaines. Un stagiaire canadien que j'ai l'honneur de fréquenter ces temps-ci demandait à mes collègues et moi-même récemment de citer un acteur de son pays. Personne n'a été capable de lui sortir un nom. Lui par contre connaissait une dizaine de noms français. Pourtant, le Canada, c'est combien de fois la France ? Fin de la parenthèse.

Bref, subventionner à mort les industries concurrencées par la Chine ou un autre pays ne sert à rien. Baisser les charges sociales, repasser à 40 heures hebdomadaires et supprimer les congés payés n'y changera rien : les français n'en seront que plus malheureux et l'économie n'en sera pas meilleure pour autant. Ce qu'il faut, c'est ne pas manquer le prochain train, celui du commerce en ligne, du tourisme spatial ou de l'industrie pharmaceutique, que sais-je encore ?

J'émets maintenant une hypothèse saugrenue, mais basée sur un article que j'ai lu au sujet de la nouvelle crise du pétrole (lire aussi celui-ci). Selon cet article, à l'horizon 2015, le baril s'échangera à $380. 2015, c'est dans dix ans à peine. $380 le baril, ça mettrait le prix du litre de carburant sans plomb à 8 euros ! 50 euros ou presque pour faire une centaine de kilomètres !
Cela va changer dramatiquement les habitudes. Vraisemblablement d'ici là, d'autres énergies plus ou moins renouvelables seront en mesure de remplacer le pétrole. Mais je doute que, d'ici là, nous aurons la chance d'avoir une énergie aussi peu couteuse que le pétrole. Aussi, les entrepreneurs visionnaires qui sont allé s'installer en Chine, en Turquie ou ailleurs, ils se retrouveront avec des produits invendables en France parce que le port sera prohibitif. Tous les modes de transport fonctionnent au pétrole ou un de ses dérivés. Les milliers de camions qui obstruent nos routes : en panne sèche. Le flux tendu : oublié, remplacé par le re-développement de l'industrie locale. Faire venir des pièces de Pologne ? Vous n'y penserez même plus. Pas rentable.
Par la même occasion, cette crise de pétrole pourrait nous donner une vraie occasion de rouler enfin propre. Tant qu'il y aura une goutte d'or noir sur cette planète, il y aura du CO2 dans l'air.
Ça me fait penser que j'ai commandé mon fuel domestique aujourd'hui. Presque deux fois plus cher qu'en 2003. Il faut vraiment que j'installe ces panneaux solaires.