Episode 1 : La gomme

Puisque je ne suis pas loin de devenir un vieux con de trente ans et que j'ai passé plus des deux tiers de ma vie sur les bancs de l'école (moi c'était plutôt des chaises, je ne sais pas vous, mais...), je m'estime particulièrement qualifié pour commencer une grande série récurrente dans ce blog sur ces souvenirs flous d'un passé pourtant proche.
J'entends déjà les plus exigeants d'entre vous s'émouvoir du peu d'intérêt que présente la chose. Vous sous-estimez la portée philosophique et le caractère engagé que pourra avoir cette série. Et même si je prends des risques et que je dérange avec mes réflexions bien senties sur le matériel scolaire, JE LE FERAI QUAND MÊME ! C'est dit.
Par ailleurs, vous verrez, j'espère, que le sujet est loin d'être pauvre, et qu'il réveillera en vous le petit écolier qui sommeille, comme il sommeillait déjà pendant les cours d'Histoire-Géo, d'ailleurs, quand on vous expliquait pour la troisième fois l'homme de cro-magnon.

Cette introduction étant faite, attaquons d'emblée le premier épisode que j'ai sobrement intitulé "la gomme".
Je ne vous ferai pas l'outrage de commencer banalement par la définition de l'objet, j'ose espérer que vous avez tous en tête l'image de votre gomme d'antan, et que même si vous étiez excellent élève, vous vous rappelez de son usage.
Vous vous rappelez de la vôtre, certes, mais vous rappelez-vous de celle qu'avait votre voisin de pupitre ? Le gros Edouard qui manifestement ne se lavait pas tous les jours de la semaine ? Et celle de la jolie Séverine que vous vous étiez juré d'épouser à la sortie du CM1 ?
Car des gommes, il y en avait de toutes sortes, je vais de ce pas vous remémorer les plus caractéristiques, vous allez voir, c'est passionnant.

La gomme sans marque
Le bas de gamme. La moins chere. L'Eco-Plus dirait-on maintenant. Cette gomme, c'est celle qu'on n'aimait pas avoir, parce qu'elle cumulait un certain nombre de défauts : elle était moche, elle ne gommait rien du tout et surtout elle n'avait aucun attrait. Inutile d'espérer emballer votre voisine avec cette gomme là, autant feindre de la perdre pour en demander une neuve à vos parents. En espérant qu'ils ne fassent pas le même choix indélicat.

La gomme Mallat
Quand vous aviez réussi à convaincre vos parents que votre gomme sans marque était hideuse et qu'elle nuisait à vos résultats scolaires, les parents les plus pingres se tournaient inévitablement vers la gomme Mallat. Milieu de gamme, facilement reconnaissable de par sa forme rectangulaire de trois centimètres par quatre et son inscription imprimée directement sur la gomme "MALLAT" en lettres grasses. Au bout de quelque mois d'utilisation, évidemment, cela devenait "ALLAT", puis "LLAT", mais globalement, tout le monde savait reconnaître une gomme MALLAT. D'autant qu'elle se caractérisait par de piètres performances de gommage. Les copeaux de la MALLAT était énormes et sentaient fort le caoutchouc. Quand on les chassait de la main, au lieu de s'envoler rapidement comme devrait le faire tout copeau de gomme honnète, le copeau MALLAT roulait en boule sous l'auriculaire en laissant accessoirement une trainée de crayon de papier sur sa trajectoire. La gomme MALLAT, ça n'était toujours pas la panacée, mais au moins, ça évitait la honte de la "sans marque" et la risée dans la cour de récré.

La gomme parfumée
On la trouvait le plus souvent à l'école primaire et particulièrement chez les filles, qui l'avaient eu par le Père Noël avec du papier à lettre comme si elles avaient déjà une correspondance suivie avec leur prince charmant qu'elles ne trouveront jamais. Un ton acidulé, une odeur du même tonneau, inévitablement on s'interrogeait sur le goût que cela pouvait avoir. En général, on ne s'interrogeait pas longtemps, puisqu'on essayait de goûter très vite, et on se rendait compte tout aussi vite que c'est vraiment moins bon qu'un chewing-gum, dont cela a pourtant la couleur et l'odeur. Une gomme pour filles, disais-je, mais que tous les garçons rêvaient de pouvoir tripoter et croquer un peu, ne serait-ce que pour avoir l'occasion de tripoter et croquer leur propriétaire, qui elles aussi avaient une couleur et un parfum acidulés qui attiraient les papilles. Un garçon qui possédait une telle gomme était inévitablement suspect. Surtout si c'était le gros Edouard qui n'avait, on s'en doute, pas particulièrement le fumet acidulé. Pour respecter le mimétisme, celle d'Edouard sentait le beurre rance, trop cuit dans une poële sale, comme il se doit.

oups J'ai failli oublier :
La gomme rose et bleue
Ma femme me signale que j'ai oublié la gomme rose et bleue en forme de parallélogramme. Le coté rose pour le crayon de papier, le côté bleu pour l'encre. Une trouvaille ! Oubliez le côté bleu, ça ne marchait jamais. En fait, l'encre partait bien, mais le papier en dessous aussi, ce qui laissait un trou dans la feuille. Pas très propre. Je crois bien que je n'ai *jamais* eu de gomme de ce type, pourtant très répandu. C'est sans doute pour ça que je l'ai oubliée dans mon premier jet.
/oups

La gomme Staedler
Alors là, nous atteignons le summum du raffinement pour une gomme. La gomme Staedler, c'était la gomme du professionnel, la gomme du riche. Avec le petit carton bleu et blanc autour pour ne pas se salir les doigts en saisissant cet objet indigne de sa main douce. Enfin, le petit carton bleu, il ne restait pas longtemps. A la rentrée, avec notre belle gomme Staedler dans la trousse, on s'était juré de ne jamais enlever ce petit carton qui fait justement tout le chic de la gomme. Sans lui, on aurait pu confondre la Staedler avec une gomme sans marque, vous rendez-vous compte ? Alors on résistait à la tentation.... quelques semaines. Mais au bout d'un moment, comme sous les jupes des filles, on aimait bien savoir ce qui se cachait sous ce satané petit carton. De toute façon, une fois enlevé, il suffisait de le remettre, non ?... C'est ce qu'on croyait. Une fois enlevé, au tout début d'un cours de maths où l'on usait la gomme plus que de raison, on passait le reste du cours à essayer de le remettre, en essayant de cacher aux voisins de table notre gomme toute nue et notre embarrassement pour la revêtir. Finalement, juste avant la sonnerie, on y parvenait, tant bien que mal, après avoir un peu écartelé le petit carton qui cèdait aux comissures. Mais bizarrement, la gomme était bien entrée dans sa robe jusqu'à 90%, mais plus moyen d'avancer plus loin. Inévitablement, les 10% de carton qui dépassaient s'usaient dans la trousse, se recroquevillaient, et la gomme finissait l'année scolaire dans le plus simple appareil, ce qui donnait des idées à nos esprits déjà tordus : la gomme était violée à multiple coup de critériums, la salo... pardon je m'emporte. Le critérium dans la gomme, c'est rigolo : ça fait un trou, et une trace de crayon de papier autour. Discret. Design presque. Nombre de gommes finissaient par choper la varicelle. Mais cela ne nuisait pas à la qualité du gommage de cette gomme high tech. Son inconvénient évidemment : le prix. Peu de parents se laissaient avoir à acheter pareille folie pour qu'elle se fasse piquer ou qu'elle soit perdue en deux semaines. Dès lors, deux catégories d'enfants avaient ce genre de gomme : ceux dont les parents étaient très riches et ceux dont les parents travaillaient dans un bureau où l'accès aux fournitures n'était pas très bien réglementé...

En grandissant, bien sûr, la gomme devenait moins importante à nos yeux. Et par respect pour les finances de nos parents, on essayait de ne pas la perdre, ni la martyriser au point qu'elle soit inutilisable.
Un jour dramatique, lors d'un cours d'arts plastiques, notre prof nous expliqua qu'une gomme se devait d'être précise pour parfaire le dessin. Ma gomme était toute arrondie et je me plaisais souvent à regarder l'usure de mon matériel (j'ai toujours rêvé, mais jamais réussi à terminer l'encre d'un stylo bic) en plus, c'était une staedler. Le prof la prit et lui trancha la tête en biseau à l'aide d'un cutter. Pff, déjà que j'aimais pas le dessin :(

Commentaires

1. Le jeudi, 20 janvier 2005, 09:54 par Steh

Ma prof de dessin disait que ca gomme durait le temps d'un dessin, pas plus. Elle n'arretait pas de couper sa gomme pour gommer proprement.
J'avais une gomme staedler et une rose et bleue aussi :)

Ah la la, que de souvenir !!

Bon, c'est pas tout ca mais y a une gomme pour les claviers ? Ah oui, la touche Delete et Backspace.

Demain, les stylos qui effacaient l'encre ?

2. Le jeudi, 20 janvier 2005, 12:40 par Marzi

Et puis, tu oublies la chose essenciel : la gomme ne durait en général qu'une année scolaire, non pas qu'on l'avait usée complétement, mais parce qu'on l'avait découpé en petit morceau pour la jeter sur ses petits camarades....

En tout cas, bien vu pour le coup du petit carton autour de la gomme : c'est tellement vrai..

3. Le jeudi, 20 janvier 2005, 13:38 par hyrr

Je l'ai ai toutes eu ces gommes là…
Meme la parfumée qui gomme pas…
Toutes mes gommes finissaient leurs vie prématurément… transformées au final en fine poudre…. Tout comme vos profs de dessin j'aimais bien affûter ma gomme… et a raison de qq fines lamelle découpées par semaine elles gardaient toutes leur aspect d'origine… plus exactement leurs formes d'origine car pour la couleur elles viraient vite au sombre…. Bien sur elles duraient bien moins longtemps que celle de ma très soigneuse voisine et amie qui elle lavait sa gomme régulièrement pour lui garder sa couleur virginale…
Les fameuses lamelles etaient bien precieusement conservées dans un petit tube de pellicule photo… et en cours pour m'occuper les doigts lorsqu'il ne fallait qu'écouter… ou m'occuper l'esprit lorsque je n'avais pas envie d'ecouter… tel un cuisinier avec son gros hachoir et une botte de fines herbes…
Je hachais menu menu… mes lamelles de gomme… au fil du temps j'obtenais une tres fine poudre melangée a mes toutes dernieres lamelles plus ou moins entamées par mes séances de hachage….

Tu as oublié une gomme tres précieuse…. Et tres capricieuse…. Celle perchée tout en haut du critérium… ou du crayon gris…. Celle qui te sauve presque la vie lors d'un contrôle de géométrie…. La seule qui n'ai pas décidé de rester a la maison vautrée toute la journée sur ton bureau… alors que tu avait tant besoin d'elle ce jour…. Je dis « presque » sauver la vie…. Car celle là de gomme… en plus d'etre plus efficace pour faire des trous que pour gommer… a une fâcheuse tendance a vouloir fuguer… sortir de sa cavité initiale et sauter 3 rangs plus loin sous les pieds d'un agité qui le temps de dire « ouf » l'aura envoyé valdinguer à l'autre bout de la classe…. Voir pour les plus vicieuses… sauter et atterrir entre les deux yeux du prof de math… la bien sur pas moyen de réclamer sa gomme…

A noter qu'il est possible en cas d'absolue nécessité et avec de l'entrainement d'utiliser la poudre de gomme…

4. Le dimanche, 23 janvier 2005, 20:10 par Stef

Tu réveilles en moi de vieux souvenirs penibles... Et oui je me suis fait punir en CM2 pour avoir fait un trou dans une page de mon cahier , encore la faute de cette cochonnerie de coté bleu !!!
Cela dit pour compléter le tableau et légérement voisin des gommes parfummées , n'oublions pas les gommes fantaisies qui n'ont de gommes que le nom , c'est pire qu'une "sans-marque" coté efficacité. J'en avais environ une centaine collectionnée a chaque voyage , toutes bien débiles et inutiles, je chercherais au grenier , je dois toujours les avoir...

5. Le mardi, 25 janvier 2005, 22:06 par Gaille

Sur mon bureau, j'ai une trousse, souvenir de mes études qui ne remontent plus à hier (7 ans). Après vérification dans cette trousse, s'y trouve encore 2 gommes staedler de 2 tailles différentes, presque pas usées. Et elles fonctionnent encore !
Comme quoi j'étais plus sérieux que marzi qui les méttait en morceaux pour les jeter sur ses camarades... ;)

6. Le mercredi, 26 janvier 2005, 10:23 par zabelia

C'est marrant comme un petit détail comme une gomme peut réveiller de doux souvenirs...
Le choix, l'achat et l'utilisation de la gomme. Comme tout le monde, j'aimais surveiller son usure, je la persecutais en lui enfonçant les mines de mes stylos ou pire, le pic du compas ! au bout de 2 mois, elle ne ressemblait plus à rien et fallait en racheter une... (mais je gardais toujours les vieilles à la maison comme trophée).
Mes enfants inffligent le même traitement à cet outils , ça doit destresser ! Du coup il y en a dans tous les coin à la maison, des blanches, bleues, aromatisées, croquées, en carré en rond... Mais quand il s'agit d'en trouver une pour une utilsation urgente, les gommes se cachent... elles ont peur de nous et elles ont raison !

7. Le dimanche, 13 décembre 2009, 17:08 par tagada

RHAAAA ! la gomme parfumée...!!!

Celle que les copines exhibaient en se pavanant.
Certaines gommes sentaient la fraise et d'autres la vanille. Quand une des veinardes me prêtait SA gomme pour la sentir, je la reniflait si fort qu'elle restait collée prêt de ma narine. Et j'avait pas le temps d'essayer de gommer un seul trait de crayon gris car elle me la reprenait illico...

soupir...!

8. Le dimanche, 3 juillet 2011, 15:27 par Alexis

Bonjour,

Aaaaah ! La gomme Mallat.... tant d'heures passées à essayer de la faire tourner au bout de mon crayon...

Il y a quelques années, j'avais eu ce document en cadeau avec Mallat, il raconte l'histoire de la gomme:

http://tinyurl.com/6klqar3

C'était le bon temps, le temps de l'innocence.

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