Ma critique du film de Cyril Dion et Mélanie Laurent



Je critique assez souvent les artistes qui ne s'engagent pas assez pour saluer l'initiative de Mélanie Laurent et Cyril Dion. "Demain" est un film engagé qui parle de la nécessaire transition de nos modèles économiques, politiques, agricoles. Enfin ! Les idées qui circulent sur le web et dont je me fais l'écho ici depuis bientôt dix ans sortent à destination du grand public.
Le film est découpé en six chapitres qui me rappellent ma propre prise de conscience progressive, et vous imaginez ce qu'il peut-être agréable de se voir confirmer en public ce qu'on essaie de vulgariser sans trop de succès depuis des années.

I. L'agriculture
Le film évoque les Incredible edible, les jardins urbains de Detroit, la permaculture avec la ferme de Bec Hellouin... Je n'aurais pas insisté sur les mêmes choses et j'aurais bien vu une intervention de Claude et Lydia Bourguignon pour enfoncer le clou, mais je suppose que ce n'était pas assez "positive attitude".

II. L'énergie
À mon avis, le chapitre le moins bien documenté. On aurait aimé une interview de Jean-Marc Jancovici et une critique un peu plus poussée des modes de déplacements énergivores comme la voiture ou l'avion. Au contraire, à plusieurs reprises, on associe au voyage longue distance des vertus positives, les réalisateurs se filmant dans les portiques des aéroports ou rêvant de lieux touristiques (San Francisco et le Golden Gate...). Et l'idée qu'en mettant quelques éoliennes par ci par là, on règle le problème sans toucher à notre mode de vie.

III. L'économie
J'ai jubilé en voyant qu'on expliquait enfin au grand public l'arnaque de la création monétaire par les banques privées. Des années que je prêche dans le désert sur ce sujet qui ne passionne pas les foules et qui est pourtant capital ! Le passage sur les monnaies complémentaires britanniques est intéressant.

IV. La démocratie
David Van Reybrooke explique l'intérêt du tirage au sort en politique. Je l'ai connu plus convaincant et on aurait aimé un morceau d'Étienne Chouard beaucoup plus persuasif et incisif. On voit ensuite quelques exemples de démocratie directe dans des endroits où l'on peine à se projeter (l'Inde et son système de caste), c'est un peu dommage de s'arrêter là.

V. L'Éducation
Un coup de projecteur sur le modèle scolaire Finlandais. Deux voire trois professeurs pour 15 élèves ! Des moyens faramineux et une logique aux antipodes de ce que l'on peut connaître en France. Tu m'étonnes que ça fonctionne mieux...

VI. L'action
"Le secret de l'action, c'est de commencer" (Alain ou Émile Auguste Chartier), le film incite à se prendre en main et à commencer à faire quelque chose au lieu de se morfondre et d'attendre que les solutions viennent d'en haut.

L'intention est louable, mais je vois plusieurs défauts au film, qui m'empêchent, moi, d'être mobilisé plus que je ne le suis déjà.
Pourtant je le répète, je souscris à l'essentiel des points qui sont abordés et j'apprécie à sa juste valeur l'effort de diffusion de ces idées au grand public, on a besoin de ça, que de plus en plus d'artistes s'emparent de ces idées et les diffusent à leur manière.

Mais le positivisme affiché dans le film, j'imagine à dessein pour ne pas rebuter les gens, tourne à l'angélisme quand il s'agit de critiquer l'inaction voire la contre-action des hommes politiques et des multinationales.
Par exemple, les monnaies complémentaires sont amusantes et inoffensives tant qu'elles sont confidentielles. Gageons que si cela devenait une menace pour l'équilibre économique des monnaies "officielles", la rétorsion serait d'un tout autre ordre. Quand la Grèce a envisagé de contourner l'euro en émettant une monnaie complémentaire à grande échelle, les autorités ont eu tôt fait de faire capoter l'idée et les hommes qui la défendaient. Monsanto et les autres ne se laissent pas faire et les affaires Kokopelli et celle du purin d'ortie nous rappellent qu'il ne suffit pas de commencer à faire des choses dans son coin : la solution est éminemment politique et le système électoral et ses financeurs se défend plutôt violemment.

Je regrette aussi qu'il n'y ait pas un mot sur la critique des médias. C'est un chapitre qui fait cruellement défaut au film car les médias sont la courroie de transmission qui manquent aux idées novatrices. J'imagine que s'attirer les foudres des médias ruinait le plan de comm' du film et rendait sa diffusion beaucoup plus difficile.

Je déplore donc le manque de radicalité du film. Le temps presse, l'ambiance se crispe dans des états d'urgence à rallonge, il n'est plus l'heure de se féliciter des petites initiatives (ce qui n'empêche pas de les encourager et d'y participer), mais il faut arrêter de dire que ça peut suffire. Il faut prendre tous ces problèmes à bras de le corps et s'attaquer à la racine, qui me semble être l'absence pure et simple de démocratie.

Par la démocratie on réinstaure une monnaie juste, on oriente l'agriculture et le bouquet énergétique, on revoit le système scolaire. C'est la clé. L'endroit prioritaire où il faut se battre. Comment ? Simplement en s'informant et en en parlant autour de soi. Il ne doit plus y avoir un repas de service, un repas de famille, une discussion sans aborder le sujet d'une façon ou d'une autre. Des milliers de ressources existent sur le web. Prendre le temps de les lire, les regarder et les diffuser sur les réseaux sociaux. Organiser des projections publiques ou familiales. Toutes les occasions sont bonnes et il suffit d'apprendre à les susciter. Mais je répète, il y a état d'urgence.

Commentaires

1. Le mardi, 22 décembre 2015, 23:39 par chéry 4

Après avoir vu le tweet de Chouard, je me suis dis "faut que je vois ce film", le problème c'est que pour trouver une séance quand on habite dans un trou, c'est pas évident. Dans ma petite ville de province il ne passe qu'une fois tous les trois jours et à 18h30 seulement. ça limite quand même le public et c'est bien dommage.Une prise de conscience de grande ampleur n'est pas encore là d'exister.

2. Le lundi, 15 février 2016, 10:25 par Nath

Perso, ce film m'a fait du bien. Parce que justement, il montre des gens qui agissent plutôt que de se morfondre en se disant que tout va mal. Quelque part, ça me donne plus envie de bouger par l'exemple que toutes les analyses qui expliquent que tout va mal.
Oui tout va mal, mais s'il y a deux choses à retenir de se film c'est : on a vingt ans pour changer la donne. ça peut paraitre ridicule, mais c'est une vraie opportunité ! Et deuxième chose, nous ne sommes pas sans solutions ! Les savoirs et les techniques existent et ils sont à notre portée !
Maintenant, le "vieux modèle" ne se rendra pas sans se battre (à mort s'il le faut) et il y aura beaucoup de casse au passage. Je suis en train de terminer "Tout peut changer" de Naomie Klein, j'en ferais bientôt une fiche de lecture.

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