Principes du gouvernement représentatif

Critique du livre Bernard Manin



Voilà un livre que je n'aurais jamais acheté si Etienne Chouard ne passait pas son temps à en parler dans ses conférences comme d'un bouquin majeur permettant de comprendre la supercherie de l'élection.
Sorti initialement en 1997, réédité en 2008 puis à nouveau en septembre 2012, le petit livre jaune semble connaître un vif succès malgré un titre parfaitement rebutant le réservant aux spécialistes et aux universitaires.

Je l'ai donc lu en m'accrochant car, contrairement peut-être à ce que laisse entendre Chouard, c'est quand même réservé à un public averti. C'est dense, c'est vaste, c'est fouillé, très intéressant, mais très peu accessible car très peu engagé. N'y allez pas chercher une critique implacable du gouvernement représentatif ou un plaidoyer pour le tirage au sort, même si Bernard Manin aborde ces sujets en long et en large, à travers les époques et dans plusieurs pays.

Le bouquin retrace l'histoire du gouvernement représentatif, depuis sa création au 18ème siècle en opposition à la démocratie. C'est la chose essentielle qu'il faut retenir : le modèle politique que nous connaissons aujourd'hui a été pensé, voulu, défini pour ne PAS être démocratique. C'est seulement ensuite que nous nous sommes mis à appeler abusivement démocratie ce modèle politique. Bernard Manin le démontre bien, en multipliant les citations et en s'étonnant lui-même de la disparition totale d'autres modes de sélections que l'élection pour choisir les représentants. Alors qu'au début du 18ème siècle encore, de nombreux penseurs évoquaient le tirage au sort, pour l'encenser ou le critiquer, un siècle plus tard, plus personne n'en parle, ni en bien ni en mal !
L'élection s'est donc imposée naturellement, malgré ses défauts connus, et parfois parce qu'elle avait ces défauts, qui n'en étaient pas pour ceux qui étaient en mesure d'accéder au pouvoir par ce biais.

Bernard Manin explique ensuite en quoi l'élection ne peut pas être considéré comme entièrement démocratique, car elle présente à la fois des caractères démocratiques et non-démocratiques. En effet, c'est le peuple tout entier qui choisit ses représentants, et en cela, l'élection est démocratique, mais le mode de sélection induit en lui-même un caractère parfaitement anti-démocratique car il permet de sélectionner théoriquement les meilleurs, c'est à dire des personnalités qui ont une différence notable avec le reste de la population. Le critère permettant de définir qui est le meilleur étant par ailleurs variable mais pratiquement toujours détaché des compétences attendues d'un véritable démocrate. Le meilleur représentant serait en effet celui qui est capable d'entendre le peuple pour le représenter, d'arriver facilement au consensus, de ressembler au peuple... Au lieu de cela, l'élection tend à favoriser les candidats qui communiquent avec talent, ont accès aux médias de masse, des notables bien différents des électeurs.

Chacune des démonstrations théoriques de Manin nous évoque un exemple flagrant des dysfonctionnements de l'élection. Les récents événements survenus à l'UMP sont un cas d'école. Comme le résume habilement le philosophe Alain : Les gens bons ne veulent pas du pouvoir. Autant dire que les pires gouverneront.

Bernard Manin se garde bien de conclure qu'il faut jeter ou garder l'élection, il se contente de citer les travaux de nombreux universitaires ou philosophes qui ont mis en évidence les limites de l'élection, et de montrer tout ce que le gouvernement représentatif n'est pas, à commencer par une démocratie.

En conclusion, l'ouvrage est intéressant pour sa neutralité et sa rigueur, mais il ne m'a pas passionné, hormis quelques passages qui semblent exhiber des évidences effacées par deux siècles de propagandes pro-élection. Si vous n'êtes pas convaincu que l'élection pose problème en elle-même, ce n'est pas ce bouquin qu'il faut lire en premier, sauf si vous êtes allergique aux propos un peu engagés. Tournez-vous plutôt dans ce cas vers un vulgarisateur qui vous épargnera cette lecture exigeante.

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://merome.net/blog/index.php?trackback/909