Quand on a la tête en forme de marteau, on voit tous les problèmes sous forme de clous (A. Einstein)

Je ne vais pas vous refaire la liste des dysfonctionnements écologiques, démocratiques, financiers, sociaux qui agitent nos bons pays, il devient de plus en plus difficile de les ignorer tant on en parle à la télé.

On en parle, on en parle, mais jamais on évoque vraiment les remises en causes nécessaires de nos modes de fonctionnement, au point qu'on pourrait se demander s'il n'y a pas complot de partout, et s'il n'y a pas des vilains méchants, là-haut, aux manettes, qui font rien qu'à nous embêter exprès.
Je vais vous faire une confidence : je n'y crois pas une seconde.

Si l'on se trouve dans un tel pétrin, et si l'on peine tant à se sortir du marasme, c'est le fait de notre (ir)responsabilité collective. Alors bien sûr, à des degrés divers, car l'homme politique, l'industriel ou le banquier ont sans doute plus de leviers d'actions que nous, pauvres mini-pêcheurs ; mais à la base il y a ces sentiments et ces réflexes totalement humains qui sont la défense de ses propres intérêts et la résistance au changement.

L'humanité a toujours cherché à progresser et se développer. Lorsqu'elle est tombée sur le filon du pétrole, évidemment, les choses se sont emballées et chacun y a trouvé son compte, ou presque. À cette époque, la Terre nous paraissait infinie, les ressources inépuisables, qui aurait bien pu imaginer que cela cesse un jour ?
Partant de ce rêve d'infini développement, les Hommes ont construit des outils à la mesure de leurs ambitions, à commencer par un système monétaire lui aussi basé sur ces perspectives infinies. Il paraissait évident, à une époque, que demain soit toujours mieux qu'aujourd'hui, et qu'hypothéquer le futur était sans risque aucun. C'était d'autant plus évident que ça a fonctionné pendant des siècles, nous confortant un peu plus dans nos certitudes.

Dans nos esprits sont gravés des désirs de futurs meilleurs, et chaque évolution apportait son lot de progrès tout en restant dans une même logique, une hiérarchie parfaitement maîtrisée et dont les inégalités étaient assumées.

Quand soudain, patatras ! Le pétrole, le cuivre, le gaz naturel, le charbon... Toutes ces ressources sont finies. Pire : chaque fois que l'on utilise ces ressources, on hypothèque les chances de survie de notre propre espèce. Et c'est tout un modèle qu'il faut remettre en cause, repenser.

Un banquier peut-il comprendre ça ? La nature-même de son métier dépend du développement exponentiel. La croissance économique repose sur ses épaules et passe à travers ses comptes. Jusqu'aux tréfonds de son cerveau, il est programmé pour perpétuer un fonctionnement qui n'est pas durable. Si, au mieux, il se rend compte des inégalités et des défauts de son propre système, il est persuadé qu'il n'en existe pas de meilleur et se contentera d'améliorer celui qu'il connait tout en défendant ses propres intérêts.

Le politicien a-t-il les cartes en main ? Toutes ses promesses sont bâties sur des perspectives de croissance qui n'existeront pas. Il dépend du banquier depuis qu'on a considéré, à juste titre sans doute, que lui laisser le portefeuille entre les mains présentait un risque. Sa légitimité est le fruit de l'élection, qu'il entrevoit forcément comme une démocratie ultimement efficace. Par vocation, il cherche à accéder au pouvoir et mettra tout en œuvre pour aboutir à ce résultat.

L'industriel a-t-il les moyens de changer le monde ? Son rôle est de vendre un maximum, en maximisant les gains. La croissance est dans son ADN et son activité en est totalement dépendante. S'il lâche un pouce de terrain, un concurrent prendra sa place. Des centaines d'emplois seront en jeu. Lorsqu'il défend son bifteck, il défend aussi celui des gens qui travaillent pour lui, quoi qu'on en pense.

Le journaliste peut-il dénoncer tout ça ? Il est financé par l'industriel et le banquier. Son rôle est de décrire le monde tel qu'il est sans proposer d'alternatives. Sans même se rendre compte de son aveuglement, en toute bonne foi, il s'auto-censure pour continuer de percevoir son financement.

Le citoyen lambda doit-il se révolter ? Et comment le ferait-il ? Les outils à sa disposition, parodie de démocratie, sont inutiles. Dans son propre intérêt immédiat, il est plus efficace pour lui de demander mieux, mais sans rien changer de fondamental. Par ignorance ou pour ne pas quitter sa zone de confort, il ne crachera pas dans la soupe qui lui permet de nourrir ses gosses, de partir en vacances. Il se contentera de bloguer ou de manifester.

Ainsi, le système s'auto-entretient parfaitement, sans que l'on puisse formellement établir une quelconque culpabilité. N'allez pas imaginer que TF1, Lehman Brothers, Sarkozy et autres Monsanto aient de véritables plans pour nous asservir, nous exploiter, et détruire la planète en toute conscience. Ils suivent simplement une même logique de défense de leurs intérêts, en se basant sur des certitudes d'un autre âge, sur des institutions moribondes.
Remplacez Sarkozy par Eva Joly ou Mélenchon, Monsanto par Max Haavelar, TF1 par Arte et vous aurez peut-être, dans la forme, quelque chose de différent, peut-être même mieux, mais sur le fond, les problèmes resteront plus ou moins les mêmes.

Changer vraiment de logique nécessite de revoir l'ensemble des institutions, de la création monétaire au système électif, en passant par les médias et les comportements de chacun d'entre nous. S'attaquer indépendamment à l'une ou l'autre des entreprises prétendues mauvaises est un combat vain et stérile tant que le système qui a permis leur ascension n'est pas totalement reconstruit sur de nouvelles bases.

Dénoncer un complot n'a de sens que si l'on s'inclut soi-même dans les comploteurs. Cette société est bien la nôtre, celle que nous acceptons comme elle est, jusqu'à preuve du contraire. Nos sous sont à banque, on va voter pour légitimer nos politiques, on achète les produits qu'on nous vend, on profite nos revenus mêmes s'ils ne sont pas "durables" ou "éthiques". Nous sommes tous dans le complot, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de complot.

Commentaires

1. Le jeudi, 22 septembre 2011, 12:44 par toto

Ouaip pour le constat.
Conseil de lecture et d'écoute : Chomsky (si si a écouter en profondeur, il explique très bien tout ca)
Avec en bémol : responsabilité de chacun certes, mais chacun a sa mesure, et oui, mille fois oui, les haut placés nous contraignent (qu'on en ai conscience ou non, qu'on le fasse de bon gré ou non, ) a marcher suivant la donne qu'ils ont établie. (crainte de tout, déclassement, conformisme, blabla)

donc, je confirme, on est dans la merde, je sais, mais bon hein, après tout on va peut-etre finir par vraiment se reveiller et réaliser que non, on ne doit pas se laisser dicter nos comportements par des cons (oups, j'ai dit cons, m'enfin faut bien l'admettre, ils le sont)

:)
Bye bye :)

2. Le jeudi, 22 septembre 2011, 13:06 par plhoste

Je suis d'accord avec l'intégralité de ce diagnostic, au point que cela m'évitera quelques blog posts !

J'ouvrirais/prolongerais sur un point : Il n'y a pas de conspiration, il y a des pouvoirs en place. Il n'y a pas de conspiration, il y a des informations plus ou moins secrètes et cachées, et il y a une chaîne interminable de délits d'initiés. Un homme politique qui prend une décision ayant trait par exemple au milieu de la finance, le fait car il connaît des personnes haut placées dans les institutions qui lui donnent une vue plus ou moins complète de leur perspective propre. Le jeu des chaises musicales entre postes dans la politique, l'industrie, les lobbies, les banques,... est ce qui permet ce réseau de pouvoir basé sur l'information.

Le plus insidieux des pouvoirs est à ce titre celui des mass médias car par définition, il "informe", ce qui inspire confiance. Autant dire qu'ils sont à prendre uniquement "en creux" et que c'est ce qu'ils évitent de dire qui fait sens, le reste étant la vision officielle des faits (qui parfois peut être la seule vision possible, mais j'en doute souvent).

l'opinion publique internationale est le seul levier qui pourra faire changer les choses. Le chantier principal est celui de l'éducation (d'abord de soi) au libre arbitre, ce qui requiert une soif minimale d'apprendre et de savoir. En bref, ce n'est pas gagné.

Donc oui, je partage : nous fabriquons, tous ensemble, cette grande servitude volontaire.

3. Le jeudi, 22 septembre 2011, 20:09 par atlas

Bonjour,
Ma dernière lecture d'un article sur un blog avec l'intérêt d'aujourd'hui n'est pas récente. Chapeau pour la clarté des propos. Chapeau pour l'audace de se porter (ir)responsable.
Pourquoi votre article me rappelle une découverte: la médecine ne peut grand chose au corps humain sans prendre en considération le composant "âme". Sa sémiologie se trompera tant qu'elle s'aperçoit directe: aspérine pour les maux, insuline pour ...
L'ultime perspective de l'humanité est de quitter cette vie. La quitter pour commencer une autre. Se marre qui veut, mais je suis déjà sorti de maman pour vivre ici.
Notre réalité est notre action, certes, mais sa correction se trompera si le matérialisme tant réaliste qu'il soit nous guide. Notre espèce a une destinée, elle a été et est dotée de choses pour l'accomplir, mais elle s'est confu les directions pour se retrouver amoureuse de choses, voire esclave de chose. La chimie a révélé le secret: la matière est vide. La raison humaine excelle dans les combats de s'affirmer, mais elle se perd dnas ses tentative. Si deux personnes sont perdues dans un desert, qu'importe l'identité de celle qui trouve une source d'eau; il faut boire pour survivre. des livres divins nous avaient décrit notre nature et nos risques, n'est-il pas temps de les consulter?

4. Le jeudi, 22 septembre 2011, 23:58 par JeffRenault

Einstein avait une autre formule qui colle bien à ton propos : “On ne peut pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré” (oui, je sais, je l'aime bien celle-là).

Bravo pour cet exposé limpide et si réaliste. Nous sommes nos propres freins. Le confort de notre monde est trop douillet pour que nous acceptions d'y renoncer. Certes, le système nous y pousse. Ainsi sommes-nous contraints d'avoir un compte en banque pour pouvoir percevoir notre rémunération.

Pour autant, nous portons également en nous la capacité de nous dépasser et de relever des défis. Malheureusement, l'Histoire tend à démontrer que ce n'est que dans des situations désespérées que cette capacité se révèle.

Espérons que, cette-fois, nous saurons ne pas attendre le pire pour nous inviter au sursaut salutaire, et des billets comme le tien y contribue.

Juste une remarque : "ça a fonctionné pendant des siècles". Disons 150 ans tout au plus ?

Merci encore

5. Le vendredi, 23 septembre 2011, 00:56 par Stan

bien dit Merome. Ca ne suffit pas de dénoncer, il faut que chacun balaie devant sa porte et soit le changement qu'il veut voir.

Et cela commence par s'extraire des schémas de pensée que l'on veut nous imposer...

6. Le vendredi, 23 septembre 2011, 09:43 par Pascal397

Bonjour,

je découvre votre blog grâce à un lien proposer sur un commentaire d'agoravox et les quelques articles que je viens de lire m'ont motivé à vous rendre visite ultérieurement.

Vous avez bien su décrire le "pourquoi ça va mal?"

Il est temps de mettre en place le "comment aller mieux!"
Soyons d'abord le vecteur de notre propre évolution sans attendre que les autres fassent les choses à notre place, c'est une question de volonté ensuite les moyens suivront.
Soyons optimistes, prenons ce qui est bien dans les paroles et les actes de l'autre plutôt que de stigmatiser les erreurs commises (qui n'en a jamais faites?).
Soyons curieux mais pas naïfs.
Suivons notre bon sens, bien mis à mal par nos conditionnements (cf média contrôlés et omniprésents).
etc...

Cordialement et au plaisir de vous relire

7. Le samedi, 24 septembre 2011, 00:15 par FilGB

Merome, si tu te souviens bien, il y a quelques années en cas bas lieux, je me faisais l'avocat du diable et t'envoyais en commentaire une théorie montrant tout simplement que l'Humanité a un début et une fin et que l'intelligence que l'on nous a donné (pour reprendre les cowboys fringants) était L'outil permettant de précipiter notre fin.

J'avais cette théorie là mais ne parvenait pas dire pourquoi, le cheminement, les rouages. Ton article ici présent le fait parfaitement et j'invaliderais juste ton avant dernier paragraphe, à peine plus optimiste et peut-être juste là pour tenter une ouverture. 6 milliard de gonz, c'est juste ingérable, toute influence potentielle que tu peux avoir dessus, c'est un travail de plusieurs siècles et encore, avec des moyens considérables.

6 milliards. Déjà nous deux, on n'est pas forcément d'accord sur les mêmes solutions potentielles, alors 6 milliards.

8. Le samedi, 24 septembre 2011, 13:55 par Merome

@FilGB : Nous sommes 6 milliards juste parce que le pétrole nous l'a permis. Quand y en aura plus, ou plus assez, la population va sagement redescendre (à moins que ça ne passe par un ou deux génocides et des catastrophes écologiques ou industrielles, mais peu importe). Alors il y a bien un niveau de population qui est optimum et qu'on va trouver, à force. C'est le moment de chercher comment ces gens-là vont pouvoir vivre idéalement. Même si ça ne sera peut-être que nos petits-petits-petits enfants et que par chance ils auront réchappé aux catastrophes décrites ci-dessus.

9. Le lundi, 26 septembre 2011, 13:56 par toto

et les jeunes, sur la population, no need de vouloir qu'on soit moins, il suffit juste qu'on soit moins cons. (je sais mais faut le redire quand meme : y'a pas besoin de reduire ou de vouloir limiter le nombre d'humains (par contre clair et net, les humains qui se comportent comme des anes, la oui, y'a du taf a faire))

sinon d'acc with you merome : "C'est le moment de chercher comment ces gens-là vont pouvoir vivre idéalement. Même si ça ne sera peut-être que nos petits-petits-petits enfants et que par chance..."

10. Le mercredi, 5 octobre 2011, 17:51 par dreamsandmoods

Merci pour cette clairvoyance. Ce site m'a été conseillé par rapport à mon billet "les banques et l'exemple Islandais". J'ai beaucoup apprécié votre article, et j'ai donc mis un lien vers celui-ci.

Je pense qu'il faut effectivement que nous fassions quelque chose, mais comme vous dites, l'être humain n'est pas très malléable face à la nouveauté.

Et pourtant, des exemples de contre-courant qui ont fonctionné existe, comme avec l'Islande qui a décidé de laisser tomber ses banques en faillite, seule contre l'avis du FMI, de la CE et de tout le monde capitaliste.

http://dreamsandmoods.blogspot.com/...

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1. Le jeudi, 22 septembre 2011, 14:17 par rom1v

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http://merome.net/blog/index.php?post/2011/09/21/Pourquoi-%C3%A7a-va-mal...

2. Le jeudi, 22 septembre 2011, 14:25 par rogdham

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