De ces rencontres fortuites et sans lendemain qui vous font voir le monde autrement, pendant un temps.

Je dis assez souvent d'horribles choses pessimistes ici pour compenser de temps en temps par un article porteur d'espérance et de gaieté.
Ces derniers jours, au hasard de mes pérégrinations personnelles et professionnelles, j'ai rencontré des gens. Mais attention, pas ces gens qu'on croise sans les voir, tellement ils se sont fondus dans les problèmes de la société au point de devenir de simples objets au service de l'économie, de leur patron ou du pays. Ceux-là, je n'en vois que trop. Ils exercent leur métier sans passion, ils sont désagréables et peu avenants, ils maximisent leur profit personnel ou celui de leur entreprise et encouragent la consommation à outrance de produits et services inutiles et matérialistes.

Non, j'ai vu, coup sur coup en l'espace de deux jours, une panoplie de gens qui vous parlent de leur métier avec passion, qui le font dans les règles de l'art, qui vous prodiguent des conseils complètement déconnectés d'un quelconque intérêt mercantile, comme l'on conseillerait un ami ou un proche. Des gens dont la compétence et le charisme transperce la carapace d'autodéfense du consommateur plus que réservé que je suis devenu au fil des années.

Il y a ce vendeur d'instruments et d'accessoires de musique, barbu à la voix douce et haut-perchée qui nous explique que depuis qu'il a remis des pianos dans son hall d'exposition, il ne peut s'empêcher d'en jouer une demi-heure chaque soir, attiré par les touches blanches et noires comme le papillon par la lumière du réverbère. Sa volonté de nous conseiller sans nous forcer la main tranche avec l'accueil glacial et impersonnel de ces concurrents directs, élitistes et calculateurs, croisés quelques jours plus tôt.

Il y a ce jeune professeur de batterie, à son compte depuis un an et qui croule sous les demandes, en short sous une pluie battante d'orage, il nous explique sa démarche, court nous cherchez des flyers en pleine répétition de ses élèves. Il insiste sur la recherche de plaisir dans l'apprentissage, utilise pour cela des supports électroniques modernes pour personnaliser ses cours et valoriser le travail des apprentis batteurs. Autour, des musiciens de tous les âges et de tous les niveaux montrent leur progrès à l'occasion des répétitions du concert de fin d'année. Et immédiatement vous saisit l'envie de chanter et jouer avec eux.

Il y a cet imprimeur, qui s'excuse de ne pas avoir de cravate parce qu'il est "dans la production". Les ongles noirs d'encre, la charpente solide des gars qui déplacent quotidiennement des tonnes de papier et n'hésitent pas à mouiller la chemise et mettre les mains dans le cambouis pour dépanner une machine récalcitrante. Il s'excuse, encore, de son franc-parler quand il explique que non, on ne lui fera pas faire n'importe quoi dans des délais impossibles, qu'il a une certaine conception du travail bien fait et que ça passe par-dessus les délires de ses clients qui veulent imprimer des affiches quatre par trois sur du papier à cigarettes en millions d'exemplaires pour avant-hier. Au contraire des commerciaux des grosses imprimeries qui vous promettent tout et même plus, il avoue ses limites, il les joue carte sur table et j'apprécie ça.

Il y a ce nouveau directeur de la bibliothèque, qui s'échine à mettre de l'animation dans son établissement avant lui bien froid. Il organise des comités de lectures, où tout un chacun peut donner son avis sur une liste d'ouvrages pré-établie. Le ton est à la franche déconnade, ici, la culture n'est pas chiante, les lecteurs n'ont pas honte, ni peur d'avouer que tel bouquin était incompréhensible par son niveau de langage trop châtié. Ici, on ne fait pas de références à des classiques que personne ne connaît, et les mangas côtoient les romans ou les essais politiques. La culture se niche partout et elle doit rester un plaisir accessible à tous.

Il y a ces deux viticulteurs qui viennent nous parler de la vigne. Je n'y connais rien en vin, et je ne m'y intéresse pas le moins du monde, et pourtant, je bois leurs paroles, à défaut de leur breuvage. Leur érudition dans le thème est épatante. De l'historique de leur domaine à la technique viticole à travers les pays et les âges, ce sont des puits de connaissances. Avec une retenue qui leur permet de rester concis, ils ont dressé de leur métier un portrait plein de saveurs, rattachant le moindre de leur geste professionnel à un rapport quasi-mystique avec le terroir. Soudain tout s'explique, des zones inexploitées de notre cerveau s'éclairent tout d'un coup.

Ces gens ont tous un point commun : une passion pour ce qu'ils font. L'envie de la partager avec le plus grand nombre, mais sans faire de prosélytisme, sans ambages et sans chichis. Sans jamais forcer personne. La simple lueur dans leurs yeux quand ils évoquent leurs centres d'intérêt suffit à titiller notre curiosité. Ils font plaisir à voir et chacun à leur façon, change ma vie. Pour ça, je voulais les remercier.

Commentaires

1. Le jeudi, 9 juin 2011, 14:24 par marzi

Vas-tu enfin te mettre à gouter/apprecier le vin ?

2. Le jeudi, 9 juin 2011, 15:56 par Merome

@Marzi : non. C'est une bête question de principe.

3. Le vendredi, 10 juin 2011, 01:42 par Stef

Bien que Bourguignon et grand amateur de vins, je te reprend : c'est une question de principe qui est loin d'être bête.

4. Le samedi, 11 juin 2011, 22:44 par pierre

Salut,
"@Marzi : non. C'est une bête question de principe. "

Et quel principe???

5. Le dimanche, 12 juin 2011, 11:17 par Merome

@pierre  : Un principe personnel. Une précaution contre moi même. Un peu comme on se dirait "je touche pas à la drogue". Je ne dis pas que c'est un argument rationnel. C'est juste ma philosophie personnelle et ça n'intervient pas dans le jugement que je fais de ceux qui font un autre choix.

6. Le dimanche, 12 juin 2011, 22:34 par Raf

Il y a cet apiculteur qui tient une petite boutique dans le village de Saorge au fond d'une vallée au dessus de Nice et qui vous raconte ses 400 ruches disséminées dans la montagne, insiste pour vous faire goûter tous ces miels en expliquant les particularités de chacun, arrondit à l'euro inférieur sans que vous ayez rien demandé, confectionne devant vos yeux ses pains d'épices. Un vrai régal pour l'esprit et pour le palais.

Il y a Jean-Claude Ameisen qui tout les samedis matin à 11h sur France Inter vous explique les dernières découvertes sur l'Evolution avec une pédagogie et une humanité rares, une émission passionnante même pour un béotien comme moi.

Il y a Jean-François Zygel qui décortique sur France 2 les grandes oeuvres du classique et vous donne d'un seul coup l'impression d'être un mélomane érudit.

"Rien de grand ne s'est fait sans passion" disait Hegel, tâchons nous aussi de faire les choses avec passion et d'essayer de la transmettre aux autres.

7. Le mercredi, 15 juin 2011, 09:19 par Tassin

Tiens ça me fait penser au cadre sup' chez France Télécom que j'ai rencontré dans le train pour Paris hier.
Ça part sur le thème d'un train bondé, la cause invoquée est la dégradation du service public. Il en vient à me dire qu'ils ont fait pareil chez FT il y a quelques années, que depuis c'est devenu invivable. Que tant que les médias mentiront aux gens, les élections seront truquées. Et de fil en aiguille il en arrive à me tenir des propos très critique sur les portables et qu'il trouve honteux qu'on vende ces machins alors que l'on sait pertinemment que des cancers par milliers vont se déclarer dans les décennies à venir.
A côté de nous un garçon de café paraissait être d'accord sur toute la ligne.

Je ne sais pas si c'est parce que je suis tombé sur 2 personnes aux sensibilités de gauche ou si c'est parce que ces idées progressent peu à peu dans la société, mais ça m'a redonner un peu d'espoir dans l'avenir.

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1. Le jeudi, 9 juin 2011, 12:52 par Le Monolecte

La vie comme elle est

La vie, c'est juste l'intervalle de temps qui s'écoule entre le moment de sa naissance et celui de sa mort. La question fondamentale est de savoir comment occuper le temps dont nous disposons. Autrement dit, tout est dans les choix. Ceux que nous...

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