Moins de biens, plus d'hyperliens

Aujourd'hui, je vais faire un peu de pédagogie. Si. Et tant pis si ça embête ceux qui savent déjà tout sur tout. Je me suis rendu compte que je prenais parfois quelques raccourcis qui ne semblaient évidents qu'à moi.

Vous avez, je suppose, déjà tous entendu parler de la "société de l'information", qui indique l'importance qu'a pris le traitement de l'information dans nos vies. En bon informaticien que je suis, je navigue au cœur de ce nouveau système depuis mon adolescence et je sais que vous m'enviez chaque jour. Ma vie est passionnante.

L"'information" est un terme un peu galvaudé qu'on a souvent tendance à réduire à l'"actualité". On regarde les "informations" à la télé. Cela prend une connotation déprimante dès qu'on imagine Jean-Claude Bourret en train de nous rapporter les derniers faits politiques et économiques.

Mais non, l'information, c'est bien plus que ça. C'est ce qui nous permet de prendre toutes les décisions qui président à notre destinée. Est-ce que je dois mettre le gosse dans le privé ? Est-ce que cette Peugeot est mieux que cette Renault ? Est-ce que je dois prendre à gauche ou à droite ? Est-ce que je dois voter à gauche ou à droite ? Dois-je seulement voter ? ... Tous les choix que l'on opère sont faits en fonction des informations qu'on a à l'instant T. Conséquence évidente de ceci : mieux on est informé, meilleurs sont nos choix. Notez bien le "mieux" qui ne veut pas dire "plus". Car il ne suffit pas de s'abreuver d'informations de toutes sortes pour faire les bons choix, encore faut-il que l'information que l'on reçoit soit adaptée et pertinente.

L'information circule tout le temps. Quand la boulangère vous explique pourquoi le pain est cramé, c'est une info. La coiffeuse cancane avec ses clientes, le chauffagiste qui discute avec vous pendant l'entretien de la chaudière, ... C'est de l'info, au même titre que le journal de vingt heures, le quotidien Le Monde ou la chronique politique d'Europe 1. Il se pose rapidement la question de la crédibilité de l'information, et de sa légitimité, en fonction de la source. L'avis politique du pilier de bar, par rapport à l'analyse d'Alain Duhamel, que vaut-elle ? C'est à chacun de sélectionner ses sources et de leur accorder (ou pas) le crédit qui va bien. En pondérant tout ça, notre fantastique cerveau nous amène à la décision : "Je vote Machin" ou "Bien dégagé autour des oreilles, s'il vous plait".

L'informatique est là, littéralement, pour aider notre cerveau à traiter l'information. Devant la multiplication des médias et de leur influence, l'augmentation sensible du nombre de sources plus ou moins dissonantes, l'importance croissante du son, de l'image, dans notre perception des choses... Il nous fallait des outils, des solutions.

Pour servir mon propos, je vais illustrer la chose en prenant l'exemple de la diffusion hertzienne de l'information. Bien que non totalement représentative de la diffusion globale de l'information, elle donne une bonne idée de ce qui existait AVANT :



Nous voyons sur cette magnifique infographie de ma composition un gros émetteur de France 3, vraisemblablement au-dessus de la tour Eiffel, qui "arrose" de plus petits émetteurs qui relaient la diffusion hertzienne, tout en proposant un décrochage local de l'information à certaines heures.
On peut tout à fait imaginer Le Monde au-dessus et La Provence et l'Est républicain en-dessous, c'est plus ou moins la même chose. On peut même envisager que l'émetteur national, c'est le curé du village ou le médecin, et que les émetteurs relais sont la coiffeuse et la boulangère. Le schéma est très proche et ce qu'il est important de comprendre, c'est que, AVANT, il y avait des émetteurs d'informations qui étaient plus importants que d'autres. Et AVANT, il y avait des récepteurs, passifs, qui ne produisaient aucune information.

On peut supposer que plus l'émetteur est important, plus l'information qu'il diffuse est crédible, légitime, juste. On peut supposer que Le Monde a de meilleurs journalistes que L'Est républicain, sans doute mieux payés. On peut imaginer que le médecin qui a fait plus d'études que la coiffeuse diffuse une information de meilleure qualité.
On peut, mais en fait non. En analysant bien, on se rend compte que la coiffeuse est bien plus au fait de la mode capillaire que le curé ou le médecin. Elle a aussi une expérience tout à fait intéressant en matière de sèche-cheveux, et ce même si elle n'a aucune idée du fonctionnement de ceux-ci.

Du coup, si l'information qui m'intéresse à l'instant T, c'est de savoir si tel sèche-cheveux est mieux que tel autre, la coiffeuse devient tout-à-coup plus compétente et pertinente que Le Monde, France 3 et Sa Sainteté le Pape.
Le problème, c'est que l'organisation ancestrale de la diffusion de l'information, verticale, hiérarchique, ne permettait pas, ou si peu, d'accéder facilement à l'information qui nous intéresse à l'instant T.
Pire que ça, on se rend compte que pour avoir de gros émetteurs, qui diffusent largement, il faut avoir de gros moyens. Et les entités qui se trouvent derrière ces gros moyens n'ont aucun intérêt à ce que la bonne information soit diffusée. Sans aller jusqu'à verser dans la théorie du complot, le fabricant de sèche-cheveux n'a pas d'intérêt direct à ce qu'on achète le meilleur sèche-cheveux. D'où la diffusion massive de publicités, qui ne sont ni plus ni moins que des informations perturbantes dans notre choix final.

Là-dessus, les informaticiens (c'est nous), arrivent et sauvent le monde. Ils proposent, notamment avec Internet, une autre organisation de la diffusion de l'information. On ne remerciera jamais assez Tim Berners-Lee d'avoir inventé l'hypertexte et le web qui se base dessus. Avec l'hypertexte, les informations, tout d'un coup, se lient entre elles. Avec internet, dans le même temps, chaque récepteur devient lui-même un émetteur. Et ça nous donne à peu près ça :



Notez sur cette deuxième infographie de ma composition la taille des émetteurs, ils sont tous identiques. Sur le web, le blog de Mme Michu, ou le site du Monde sont accessible de la même manière : en tapant l'adresse dans le navigateur.
Plus de hiérarchie, et plus de récepteurs simples. Tout le monde est émetteur-récepteur, et, tout d'un coup, il est amusant de constater qu'il y a bien plus d'émetteurs d'individus anonymes que d'émetteurs "officiels" et "ancestraux". Le pouvoir de diffuser l'information, autrefois réservé aux entités qui avaient les moyens d'avoir un gros émetteur, est maintenant du côté de ceux qui n'avaient auparavant que le choix de recevoir l'information qu'on leur donnait.

Vous allez me dire : oui, mais c'est bien beau, si l'analyse politique du pilier de bar est au même niveau que celle d'Alain Duhamel, alors moi, comment je m'y retrouve ? Ça va être un bazar sans nom dans votre web à la con !
C'est sous-estimer l'incroyable intelligence des informaticiens (c'est nous). Après le web, ils ont inventé des outils pour s'y retrouver, au premier rang desquels on trouve : le moteur de recherche. Alors, au début, on tatonnait... On a beau être informaticiens, on n'en est pas moins hommes, on fait des erreurs. Yahoo a tenté d'organiser le truc comme avant, avec un annuaire, des catégories, tout ça... C'était médiocre, avouons-le. Mais d'autres informaticiens plus malins se sont appuyés sur ce qui fait la spécificité du web pour mettre au point un algorithme vachement plus efficace.

Ils se sont dit : si les documents peuvent être liés entre eux, alors on va compter le nombre de fois qu'un document fait un lien vers un autre. On va considérer ça comme un vote pour ce site qui, semble-t-il, propose une information suffisamment importante pour faire l'objet d'un lien. Et on a obtenu Google.
Notez que ça pourrait être un autre. D'ailleurs, les autres moteurs, y compris Yahoo, se sont mis à faire pareil. Et on peut compter sur les moteurs de recherches pour faire de leur mieux pour proposer les meilleurs résultats, puisque c'est leur efficacité qui détermine leur utilisation, donc leur revenus.

En fonction des mots-clés, nous avons donc une modulation de l'importance des émetteurs qui va nous guider vers la meilleure information.

Si je tape "sèche-cheveux", je vais avoir quelque chose comme ça :



Et si je tape "analyse de la conjoncture économique actuelle", je vais plutôt obtenir :



(il se trouve que M. Martin est trader dans une grande banque)

Aujourd'hui, c'est une réalité sur le web, ce n'est pas la notoriété qui vous assure le succès, mais le nombre de liens qui pointent vers votre site, vos propos sur un blog ou dans un forum. Si vous êtes le seul au monde à détenir la solution d'un jeu vidéo, le code de déverrouillage de l'autoradio modèle AV-5800 de la marque Claxon ou la photo de Clara Morgane nue attachée avec des menottes aux barreaux de votre lit, postez le sur le web, et vous aurez le succès qui correspond.

Ainsi, de nombreux blogs, ou propos tenus sur des forums par d'illustres anonymes arrivent en tête des recherches Google parce qu'ils sont bien plus pertinents que n'importe quelle autre source "officielle". Michel Edouard Leclerc tient un blog au sujet de son activité professionnelle, une caissière anonyme a ouvert son propre espace sur le web. Devinez lequel des deux est le mieux "noté" par Google ? Devinez lequel arrive en tête de la recherche sur les mots clés "Blog supermarché" ? Question subsidiaire : combien y a-t-il de caissières en France, et combien de Michel Edouard Leclerc ?

Le pouvoir de diffuser l'information est aujourd'hui entre les mains des internautes. Plus il y aura d'internautes, et plus ceux-ci joueront le jeu, plus l'accès à l'information sera facilité et, on peut l'espérer, plus les décisions prises seront bonnes. Jouer le jeu, cela signifie participer, en tant qu'émetteur-relais, à la diffusion de l'information qui vous semble bonne.
J'entends souvent dire "Mais moi, je suis un crétin, je ne sais pas produire de l'information" (il est vrai que j'ai beaucoup de crétins autour de moi). Je rétorque deux arguments imparables :
- Si tu ne sais pas produire de l'information, alors contente-toi de relayer celle qui t'a plu, t'a intéressé, t'a semblé juste ou originale.
- Ta vie elle-même est une information. Tu es emmerdé avec ton cardio-fréquence-mètre qui s'éteint tout seul ? (Les crétins sont souvent sportifs) Dis-le ! La RN72 va bientôt passer dans ta pelouse ? Le prix des pâtes est devenu scandaleux ? Dis-le !
Le web se chargera d'écrémer toutes les informations inutiles qui n'auront, de toute manière, jamais beaucoup de liens entrants.

Quand on étudie un peu la chose, en essayant de s'extraire du système qu'on observe, on se rend compte du nombre faramineux de mauvais choix qui sont faits en raison d'un déficit ou d'une mauvaise information. Et ce à tous les niveaux. De l'automobiliste qui achète une nouvelle voiture juste parce que la publicité lui a laissé entendre que l'ancienne ne convenait plus ; jusqu'au politicien qui cherche tous les moyens pour relancer la croissance alors que c'est une hérésie écologique et sociale.
Imaginez une seconde remplacer tous les messages publicitaires par des messages utiles. En quelques mois seulement, l'humanité entière gagnerait un niveau de conscience qui lui permettrait, peut-être, d'aborder avec sérénité les enjeux importants qui arrivent : crise de l'énergie, crise écologique, crise sociale...
Aussi bizarre et incroyable que cela puisse paraître, cela tient à la capacité que nous aurons, tous, à relayer les "bonnes" informations.

Je vous propose de commencer par relayer l'adresse de cet article ! ;)

Commentaires

1. Le jeudi, 2 septembre 2010, 22:02 par tshirtman

Article relayé…

Mais tu semble faire l'impasse sur ce qui fait la nature du filtre, les liens n'apparaissent pas tout seul vers les pages de bonnes qualité, c'est tout un chacun qui pointe vers ce qui lui a plus (ou non, d'où l'intérêt du nofollow :]). L'essence de ce filtre, ce que matérialise les moteur de recherche, c'est la popularité… hors popularité et qualité sont deux notions que la plupart des gens trouveront intéressantes a distinguer l'une de l'autre. C'est relativement démocratique, même si ça filtre (de moins en moins avec les réseaux sociaux) les moins techniques des utilisateurs d'internet. Mais un blog par exemple très démagogique, aura une certaine visibilité, même si toutes les autres sources d'information démentent ses propos et pointent ses manipulations.

De plus, même si leur place semble tendre à diminuer, les médias traditionnels, ont une implantation certaine dans le paysage de l'information sur internet, de nouveaux acteurs apparaissent et font concurrence, mais il faut beaucoup de qualité pour arriver à avoir de la visibilité par rapport à eux… c'est du travail, mais en effet, c'est bien plus facile qu'avant, ce n'est plus que du travail, les moyens financiers requis sont ridicules (idem pour la production musicale ou cinéma, c'est toute la production et diffusion de contenus qui est facilité), c'est en effet une bonne chose, mais on en est pas encore à une égalité de fait entre le quidam motivé et le journaliste employé par le monde, ou seul la qualité permettrait de juger…

Donc, la popularité est un indicateur, mais le gros intérêt d'internet, en démultipliant les sources, est de faciliter le recoupement et donc la recherche de la vérité. Être bien informé, ça demande encore une démarche de réflexion et de recherche.

Article très pédagogique en tout cas :).

2. Le vendredi, 3 septembre 2010, 09:59 par marzi

La peugeot est mieux que la renault, je t'assure!

3. Le dimanche, 5 septembre 2010, 11:18 par Nico

Même si je suis plutôt d'accord avec ton article et ton analyse, je vois un problème : comment savoir qu'une information est de qualité ?

Supposons qu'une épidémie de "grippe du cheval" (inventée par mes soins) soit indiquée par les 3/4 des internautes comme étant une bêtise... très bien, le système fonctionne, et je ne mets pas la planète en panique en ayant entendu éternuer le cheval de mon voisin (vive la campagne).

Supposons maintenant que la grippe du poney arrive dans nos vertes contrées. Globalement, il existe un danger, mais l'information ne circule pas, le sujet est très technique et difficile à comprendre pour un néophyte, et seulement certaines conditions permettent de créer une pandémie mondiale mortelle : il faut par exemple se laver les pieds 2 fois par jour, car le pied est le vecteur de transmission.

Supposons que certaines personnes, habituellement habituées à faire des analyses pertinentes se trompent et disent que c'est une grippe du cheval bis, et qu'il ne faut pas se laver les pieds deux fois par jour. Une mauvaise information circule... il faut dire que cela parait curieux et ressemble à un canular. Et pourtant, il n'en est rien.

La planète ne se soucie pas, et le 21 Décembre 2012, l'épidémie crée une mortalité sans précédent. Mauvaise information : mauvais choix.

Donc, dans le bruit actuel de l'information, comment savoir si une information est de qualité ? (si pour une source correcte, 500 sont mauvaises car les gens n'y comprennent rien)

4. Le dimanche, 5 septembre 2010, 11:37 par Merome

Nico : Je n'ai pas de recette pour valider une source. L'important, je crois, est que chacun ait accès à toute l'information pour se faire une opinion. Parce qu'au final, il reste des cas où il n'y a pas d'un côté la vérité et de l'autre le mensonge. Il reste des cas où il faut avoir une opinion et faire un choix sans être certain de sa validité.

Internet permet de faire émerger des informations auxquelles on n'avait pas accès avant. Y compris les pires délires extrémistes ou conspirationnistes. Je pense qu'il est sain d'y avoir accès, et d'avoir accès aussi à leur contre argumentation, pour se faire une opinion à soi. Comme je le dis dans mon article suivant : l'important n'est pas que tout le monde pense comme moi, mais que tout le monde puisse penser par lui-même. Or aujourd'hui, c'est plutôt les médias dominants et les publicités qui nous expliquent ce qu'on doit penser.

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